Que faire des soumissions incomplètes ou imprécises?

Les offres de prix ou de qualité soumises dans le cadre des appels d’offres ne sont pas toujours très claires. Certaines soumissions peuvent en effet se révéler incomplètes ou parfois trop imprécises aux yeux des membres du comité chargé de l’évaluation de leur conformité. Il se pose dès lors la question de savoir si ce comité doit communiquer avec le soumissionnaire concerné afin de l’inviter à l’éclairer sur les zones d’ombres ou si, au contraire, il doit tout simplement écarter sa soumission. Loin d’être facile, la décision à prendre, le cas échéant, peut être lourde de conséquences notamment en rapport avec la question fondamentale du maintien de l’équilibre entre les soumissionnaires qui doit en tout état de cause être préservé. Cette problématique est au cœur de la récente décision de la Cour Supérieure du Québec intervenue dans l’affaire 4077334 Canada inc. (Solutions Voysis IP) c. Sigmasanté.

Dans cette affaire, la société Voysis recherchait l’émission d’une injonction interlocutoire suite à l’adjudication par Sigmasanté d’un contrat visant l’implantation d’un système de téléphonie IP dans le réseau de la santé à son concurrent Telus. En appui à sa demande, Voysis alléguait entre autres que la soumission déposée par Telus n’était pas conforme au devis technique inclus dans l’appel d’offres et que ce dernier a modifié sa soumission en offrant d’inclure, à la suite de la demande d’informations complémentaires que le comité chargé d’évaluer la conformité des soumissions lui a adressée, des pièces d’équipement absentes de sa soumission initiale. Elle soutient en outre que Sigmasanté, en l’acceptant, a rompu l’équilibre entre les soumissionnaires. De son côté, Telus défendait que le devis n’exigeait pas l’inclusion de ces pièces d’équipement et que cette omission ne pouvait pas lui être reprochée. Quant à Sigmasanté, elle soutient que Telus n’a pas modifié sa soumission en ajoutant des pièces non requises par le devis.

À la lumière des éléments de preuve qui lui sont présentés, le juge Michel Déziel conclut que Voysis ne démontre pas clairement que lesdites pièces sont incluses dans l’appel d’offres et qu’au regard de l’ambiguïté ou l’imprécision des documents d’appel d’offres sur ce point, Sigmasanté ne pouvait rejeter la soumission de Telus. Cela étant, il rejette la demande de Voysis pour l’émission d’une ordonnance en injonction interlocutoire.

Cette décision est particulièrement intéressante, car on y rappelle certaines règles fondamentales qui doivent présider au traitement des soumissions par le donneur d’ordre :

– il s’agit d’abord des principes qui découlent de l’arrêt de la Cour suprême dans M.J.B. Entreprises qui traite du contrat A et du contrat B, à savoir que le donneur d’ordre doit respecter les conditions de l’appel d’offres à l’égard de tous les soumissionnaires (M.J.B. Entreprises Ltd. c. Construction de Défense (1951) Ltée, 1999  CanLII 677 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 619, p. 3.);

– ensuite, le donneur d’ordre jouit d’une certaine latitude dans l’analyse de la conformité des soumissions, car il faut éviter de l’astreindre à un formalisme qui battrait en brèche les avantages du recours aux soumissions publiques (R.P.M. Tech Inc. c. Gaspé (Ville), 2004 CanLII 20541 (QC CA).);

– s’agissant en outre de la marge d’erreur d’un donneur d’ouvrage lors de son analyse  de la conformité des soumissions, celui-ci a droit à l’erreur mineure commise dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (Blenda Construction inc. c. CHSLD Drapeau Deschambault, 2005 QCCS 39441, paras. 43, 44 et 45.);

– enfin, il est rappelé que le souci d’assurer l’égalité entre les soumissionnaires et de ne pas favoriser injustement l’un d’entre eux constitue l’élément déterminant pour qualifier une irrégularité de mineur ou de majeure : il ne faut pas que l’omission ou l’erreur commise ait un effet sur le prix de la soumission ou sur une exigence de fond contenue à l’appel d’offres.

Le texte intégral de cette décision est disponible ici: http://canlii.ca/t/fp83g