Dommages-intérêts punitifs en matière brevet au Canada

Dans une récente décision de la Cour fédérale, Eurocopter obtient gain de cause contre Bell Helicopter pour contrefaçon d’un brevet. Le juge a déterminé que le train d’atterrissage utilisé par Bell Helicopter sur un modèle intérimaire d’hélicoptère est en contrefaçon du brevet d’Eurocopter. Le juge qualifie le différend entre les parties de « cas classique » de contrefaçon. La décision comporte tout de même quelques éclaircissements nouveaux.

Cette semaine, j’aborde la question des dommages punitifs alloués à Eurocopter. Il est rare que des dommages punitifs soient accordés au Canada. Pour appuyer sa décision, le juge a insisté sur le fait que la partie défenderesse était une « entreprise sophistiquée ». Assistons-nous à l’arrivée d’une nouvelle tendance?

Dans un prochain billet j’aborderai la doctrine de « prédiction valable » telle qu’appliquée dans cette même décision. Cette doctrine est bien connue en pharmaceutique, mais très peu appliquée à des inventions mécaniques.

Bref historique

Le train d’atterrissage « Moustache » d’Eurocopter a fait l’objet d’une demande de brevet dès 1997. Ce train d’atterrissage a une forme en traîneau ne possédant pas de ski en saillie à l’avant de chaque patin. Le premier vol d’un hélicoptère Eurocopter EC120 équipé du train d’atterrissage « Moustache » a eu lieu le 4 juillet, 1996.

Dans le début des années 2000, Bell a commencé le développement de nouveaux hélicoptères. Bell n’avait jamais conçu un hélicoptère avec un rotor articulé et un train d’atterrissage de type traîneau. Bell a donc loué et testé, entre mars et juin 2003, un hélicoptère EC120 d’Eurocopter équipé d’un train d’atterrissage de type « Moustache ». Un train d’atterrissage de ce type est ensuite fabriqué par Bell à partir de mars 2005. Le premier vol d’un hélicoptère équipé de ce train d’atterrissage a eu lieu le 27 février 2007 aux installations de Bell à Mirabel.

La certification d’un hélicoptère équipé de ce train d’atterrissage ne fut jamais achevée puisqu’Eurocopter a entrepris une poursuite en contrefaçon contre Bell le 9 mai 2008. Dès ce moment, des employés de Bell ont été mandatés pour développer un train d’atterrissage modifié en fonction du brevet d’Eurocopter. Bell a obtenu une certification pour le train d’atterrissage modifié de Transports Canada le 20 Juin 2009.

Dommages-intérêts punitifs

Eurocopter a demandé que des dommages-intérêts punitifs lui soient versés compte tenu que Bell a sciemment et malicieusement porté atteinte à son brevet par la fabrication et l’utilisation du train d’atterrissage de type « Moustache », qui a également été montré au public dans le but de stimuler les commandes pour l’achat d’hélicoptère de Bell. Eurocopter a soutenu que la conduite scandaleuse de Bell lui a causé des dommages irrémédiables qui ne peuvent être corrigés par l’octroi de dommages-intérêts et qui sont aggravés par le fait que Bell a induit le public en erreur en faisant croire que Bell a été le premier à utiliser un train d’atterrissage de type « Moustache ».

Le juge Martineau a rappelé que la norme de la preuve dans les cas de dommages punitifs ou exemplaires, y compris dans une affaire de contrefaçon de brevet, est la norme de preuve civile sur la prépondérance des probabilités. Il ne s’agit de la norme de preuve criminelle au-delà de tout doute raisonnable. Le caractère intentionnel de l’infraction, ainsi que la conduite générale de l’accusé, y compris le fait que l’infraction était « planifiée et délibérée », sont des facteurs pertinents à prendre en compte.

Dans son jugement, il est noté que Bell et sa société mère, Textron, sont des « entreprises sophistiquées » qui emploient des milliers d’ingénieurs et d’autres employés hautement qualifiés. Les deux entreprises ont des départements juridique et de propriété intellectuelle.

Traduction :

«  […] Ce n’est pas un cas où l’infraction est petite, insignifiante ou isolée, ou lorsque le défendeur n’est pas très sophistiqué ou ignorant. Il s’agit d’un cas de cécité volontaire ou de détournement intentionnel et planifié de l’invention revendiquée. Eurocopter a prouvé que la violation [de son] brevet [] par la fabrication et l’utilisation du train d’atterrissage [de type « Moustache » par Bell] n’était pas innocent ou accidentelle. »

« La preuve démontre de façon concluante que Bell avait des plans pour fabriquer et intégrer le train d’atterrissage [de type moustache] au modèle Bell 429, dès qu’il aurait obtenu la certification. Bell a activement promu la vente du modèle Bell 429 équipé du train d’atterrissage [de type moustache]. Bell n’a manifesté aucun remords et n’a offert aucune excuse pour son comportement. […] »

« […] la Cour constate qu’Eurocopter a droit à des dommages punitifs à la suite de la contrefaçon par Bell [de son] brevet [] et la conduite délibérée et scandaleuse de Bell dans le cas présent. »

Des décisions de contrefaçon de brevet dans lesquelles des dommages-intérêts punitifs sont accordés sont fréquentes aux États-Unis, mais demeurent rares au Canada. Je doute que cette décision vienne modifier le processus de design de grandes entreprises « sophistiquées ». Elle pourrait par contre favoriser l’établissement de vérifications diligentes des brevets des compétiteurs, surtout lorsque des tests sont effectués à partir de produits compétiteurs.

Et vous, travaillez-vous pour une entreprise « sophistiquée »?