Abitibi – Fibrek: l’enjeu « oublié »

La « bataille » pour le contrôle de Fibrek Inc. (« Fibrek ») se poursuit de plus belle: la semaine dernière, la Cour d’Appel du Québec a infirmé la décision de la Cour du Québec qui avait renversé l’ordonnance d’interdiction prononcée par le Bureau de Décision et de Révision en valeurs mobilières (« BDR ») à l’encontre du placement privé (le « Placement ») de bons de souscription à être émis par Fibrek en faveur de Mercer International Inc. (« Mercer ») dans le cadre de l’offre d’achat de cette dernière. Fibrek a déjà annoncé son intention de demander la permission d’en appeller de ce jugement à la Cour Suprême du Canada.

Dans l’intérim, Fairfax, un actionnaire important d’Abitibi et de Fibrek, a intenté un recours auprès de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (« OSC ») visant à faire renverser la décision de la Bourse de Toronto d’avoir permis le Placement. Cette procédure met en lumière, notamment, les intérêts uniques de Fairfax en sa qualité d’actionnaire à la fois de l’offrant et de la cible et soulève des questions intéressantes quant aux droits des actionnaires entre eux qui ne sont pas toujours claires.

Dernier développement dans cette saga: Mercer vient d’intenter sa propre procédure auprès de l’OSC et du BDR demandant une ordonnance d’interdiction à l’égard de l’offre d’Abitibi, alléguant notamment que certains actionnaires d’Abitibi qui sont également actionnaires de Fibrek retirent d’autres avantages de la transaction (outre le prix offert par Abitibi) et devraient être considérés comme des parties agissant de concert avec Abitibi dans les circonstances. Historiquement les tribunaux ne sont pas intervenus pour invalider ou limiter le droit d’un actionnaire de s’engager à déposer dans une offre d’achat (que ce soit via des « soft » ou des « hard » lock-up). Ces procédures soulèvent des questions intéressantes et les décisions de l’OSC et du BDR sont attendues avec grand intérêt.

L’enjeu « oublié » selon moi est toute la question du partage du rôle et de la juridiction des autorités en matière de valeurs mobilières et des tribunaux de droit commun: fondamentalement, l’ensemble des mesures prises par le conseil d’administration de Fibrek doivent d’abord et avant tout être jugées à la lumière des devoirs fiduciaires de celui-ci envers Fibrek et l’ensemble de ses parties prenantes. Il s’agit là d’enjeux de droit des sociétés qui ne devraient normalement pas être du ressort des autorités en valeurs mobilières. Or, sous l’égide de « l’intérêt public », on assiste au Canada depuis bien des années à ce que certains observateurs qualifient d’ingérence par les autorités en valeurs mobilières dans ces questions, créant un chevauchement de juridiction qui mérite possiblement d’être clarifié. Ces pour ces motifs que la Cour Suprême devrait à mon avis saisir l’occasion qui lui est donnée dans cette affaire pour mieux baliser ces enjeux.

Chose certaine, cette « saga » n’est pas terminée et aura permis de soulever et de débattre beaucoup de questions fort intéressantes.