Quid la proportionnalité?

L’introduction des articles 4.1 à 4.3 du Code de procédure civile il y a quelques années marquait l’expression claire de l’intention du législateur de faire de la proportionnalité une partie importante de notre système de justice. Or, si cet exposé de principe est simple dans sa formulation, il l’est beaucoup moins dans son application. C’est particulièrement vrai en matière de recours collectifs, où les tribunaux québécois ne semblent toujours pas avoir trouvé une façon limpide et directe d’appliquer ce principe.

Comme les lecteurs assidus de la présente chronique le savent maintenant trop bien, l’autorisation d’un recours collectif au Québec est tributaire de la satisfaction des quatre critères prévus à l’article 1003 C.p.c. Ce « test » est différent de celui qui prévaut dans les autres provinces canadiennes et les états américains à certains égards, mais il est, en fin de compte, assez similaire. La différence majeure se situe au niveau de ce que les juridictions de common law appellent la « preferable procedure ». En effet, dans ces juridictions, il faut convaincre la Cour non seulement de la satisfaction des critères dits collectifs (questions communes, capacité de représentation adéquate, faits allégués qui tendent à démontrer prima facie l’existence d’une cause d’action valide), mais également du fait qu’un recours collectif serait le meilleur moyen de régler une problématique donnée. S’il a l’air anodin, ce critère additionnel est loin de l’être. Bon nombre de recours collectifs qui sont autorisés au Québec ne le sont pas ailleurs au Canada ou aux États-Unis en raison du fait que la Cour n’est pas convaincue du fait qu’il s’agit du meilleur moyen de traiter de la problématique soulevée.

L’introduction des articles 4.1 à 4.3, et de la notion de proportionnalité, en a amené plusieurs à faire valoir que le législateur ajoutait implicitement le critère de la « preferable procedure » aux critères expressément prévus à l’article 1003. Saisis de la question, les tribunaux québécois en sont venus à la conclusion que ce n’était pas le cas. L’illustration la plus récente de cette conclusion se retrouve dans l’affaire Yalaoui c. Air Algérie (2012 QCCS 1393).

Dans cette affaire, la Cour était saisie d’une demande d’autorisation d’un recours collectif pour le compte des passagers du vol AH 2700 d’Air Algérie qui devaient effectuer la liaison entre Alger et Montréal le 13 octobre 2009 à 14 h 45 et qui détenaient un titre de transport aérien aller-retour Montréal-Alger-Montréal, y compris ceux qui ont fait d’autres escales une fois rendus à Alger avant leur retour à Montréal. Dans le cadre de cette audition, l’Intimée, en plus de contester la satisfaction des quatre critères prévus à l’article 1003 C.p.c., fait valoir que l’autorisation devrait également être refusée en raison des règles de la proportionnalité. En effet, elle plaidait que le montant total en jeu ne justifiait pas les dépenses importantes qui seraient engendrées dans un recours collectif.

L’Honorable juge Petras, se basant sur un courant jurisprudentiel bien établi, écarte l’argument de la proportionnalité soumis par l’Intimée. Selon elle, seule la satisfaction des critères de l’article 1003 est nécessaire pour l’autorisation du recours, la Cour n’ayant aucune discrétion subsidiaire pour refuser une telle autorisation une fois cette démonstration ayant été faite:

[147] Les tribunaux ont déjà confirmé, incluant la Cour suprême, que l’article 4.2 C.p.c. n’a pas pour effet d’introduire en droit québécois un principe accepté dans d’autres systèmes canadiens et selon lequel un recours collectif, pour être autorisé, doit être la procédure la plus appropriée ou le meilleur moyen de vider les questions communes.

[…]

[149] En effet, l’article 4.2 C.p.c. n’est pas une cinquième condition ajoutée à l’article 1003 C.p.c.

Est-ce pour autant dire que la proportionnalité n’a pas sa place en matière d’autorisation de recours collectif? Oui et non.

Théoriquement, la proportionnalité demeure applicable dans l’évaluation individuelle de chacun des critères comme l’indiquait la Cour d’appel dans l’affaire Apple c. St-Germain (2010 QCCA 1376). Ainsi, quatre fois plutôt qu’une, le juge saisi d’une demande d’autorisation devrait se satisfaire de la proportionnalité de la demande. C’est d’ailleurs cette analyse qui a amené l’Honorable juge Michel Déziel à rejetter une demande d’autorisation dans Brown c. Roy (2010 QCCS 3657) (en appel).

Mais en pratique, la proportionnalité est trop souvent ignorée par les tribunaux. L’exemple le plus flagrant demeure l’affaire Vivendi dont j’ai traité le 5 mars dernier. Là, la Cour d’appel indiquait que l’existence d’une seule question commune non insignifiante suffisait à satisfaire le critère de l’article 1003 (a). On a peine à y voir là une quelconque application de la règle de la proportionnalité pourtant jugée si importante par le législateur.

C’est pourquoi, dans l’état actuel de la jurisprudence, il est difficile de répondre à la question de savoir si la proportionnalité a une quelconque place en matière de recours collectif.