La formule Rand au secours des étudiants

Au cours des derniers jours, on a beaucoup parlé de l’intervention des syndicats pour aider à résoudre le conflit étudiant, notamment dans le cadre de la négociation de la défunte entente de principe avec le gouvernement. Certains se sont questionnés quant à l’implication des syndicats dans le conflit et quant aux raisons ayant pu motiver cette dernière. On a alors fait état, notamment, des dizaines de milliers de dollars remis par les syndicats aux associations étudiantes pour les soutenir financièrement dans leurs revendications (voir notamment http://www.lapresse.ca/actualites/dossiers/conflit-etudiant/201205/01/01-4520587-trois-centrales-syndicales-appuient-financierement-les-etudiants.php). Mais ce dont on a bien peu parlé c’est de la provenance de ces fonds.

En effet, il est utile de rappeler que le financement des syndicats provient essentiellement de cotisations versées par des salariés qu’ils représentent dans le cadre des relations de travail avec des employeurs. Au Québec, comme dans le reste du Canada, ces cotisations sont obligatoires. Il s’agit là de ce que l’on appelle communément la formule Rand, codifiée au Code du travail à l’article 47 :

47. Un employeur doit retenir sur le salaire de tout salarié qui est membre d’une association accréditée le montant spécifié par cette association à titre de cotisation.

L’employeur doit, de plus, retenir sur le salaire de tout autre salarié faisant partie de l’unité de négociation pour laquelle cette association a été accréditée, un montant égal à celui prévu au premier alinéa.

L’employeur est tenu de remettre mensuellement à l’association accréditée les montants ainsi retenus avec un état indiquant le montant prélevé de chaque salarié et le nom de celui-ci.

Ainsi donc, que le salarié soit membre ou non du syndicat, qu’il soit favorable ou non au syndicat, il doit payer la cotisation syndicale exigée dès lors qu’il fait partie d’une unité de négociation pour laquelle le syndicat est accrédité. De fait, le salarié en question pourrait même être complètement opposé au syndicat qu’il devrait malgré tout verser la cotisation exigée.

En contrepartie de cette cotisation vient toutefois l’obligation de juste représentation du syndicat. Au Québec, il s’agit du fameux article 47.2 du Code du travail. En conformité avec cette obligation, le syndicat se devra de représenter de façon juste les salariés qui font partie de l’unité de négociation, qu’ils soient membres ou non du syndicat. Cela pourra aller, par exemple, de la juste représentation au moment de la négociation de la convention collective ou lors du dépôt d’un grief suite à une mesure disciplinaire.

Que l’on soit ou non d’accord avec le principe de la formule Rand, le principe peut s’expliquer. Un salarié est contraint de verser une cotisation mais en contrepartie, bénéficie des avantages de la convention collective et, le cas échéant, d’une représentation dans ses relations avec son employeur. Mais qu’arrive-t-il lorsque les cotisations syndicales servent non pas à payer les frais relatifs à la représentation des salariés mais plutôt, à défendre des idées politiques sur d’autres sujets, idées avec lesquelles le salarié peut être en total désaccord? De quel droit une association de salariés peut-elle utiliser les fonds provenant des cotisations syndicales pour soutenir financièrement, comme en l’espèce, les associations étudiantes contre la hausse des frais de scolarité? Cette question est d’autant plus pertinente dans le contexte actuel lorsque l’on constate le peu de support dont jouissent les associations étudiantes dans la population en général (http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/education/201205/03/01-4521802-sondage-crop-sur-le-conflit-etudiant-avantage-charest.php).

Une décision rendue en 1991 par la Cour suprême du Canada est généralement invoquée au soutien du droit des syndicats de contribuer financièrement à des causes comme celle de la hausse des frais de scolarité. Il s’agit de l’arrêt Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, [1991] R.C.S. 211. Dans cette affaire, la Cour suprême devait se prononcer quant au droit d’un syndicat d’utiliser les cotisations syndicales, par exemple, pour soutenir financièrement le Nouveau Parti Démocratique ainsi que des campagnes de désarmement. Le plaignant dans cette affaire soutenait qu’une telle utilisation des cotisations syndicales violait notamment son droit à la liberté d’association.

La Cour a ultimement conclut qu’une telle utilisation, qu’elle viole ou non la liberté d’association (il y avait divergence d’opinion parmi les juges sur cette question), se justifiait au sens de l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés qui prévoit que les libertés fondamentales peuvent être restreintes par une règle de droit, dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Depuis cette décision, le droit des syndicats d’utiliser les cotisations syndicales à des fins autres que celles reliées au processus de négociation collective n’a pas sérieusement été remis en question. Et parallèlement à cela, on a assisté à une augmentation constante de l’implication des syndicats dans toute sorte de causes non reliées aux relations du travail.

Il est toutefois important de noter que si l’utilisation des cotisations syndicales à de telles fins n’est pas contraire à la Charte, selon l’arrêt Lavigne, il n’en demeure pas moins que le législateur est libre de prévoir, dans les dispositions codifiant la formule Rand, que les cotisations ne peuvent être utilisées qu’aux fins liées au processus de négociation collective et aux relations du travail. Il me semble qu’en 2012, un salarié qui verse une partie de son salaire à un syndicat devrait avoir le droit de s’objecter à ce que ses cotisations servent à défendre une cause qu’il ne supporte pas. Et si un syndicat désire soutenir des causes sociales non liées au processus de négociation collective, il demeurera libre de le faire par le biais de cotisations volontaires plutôt qu’obligatoires.