Le Fermier Jean me consulte!
« Combien coûte une banque de modèles de contrats ? » nous demandait récemment Alexandre Thibault dans son excellent blogue Gestion et Marketing chez Édilex.
Ma réponse : ca coûte très cher ! Lorsque c’est mal utilisé.
À preuve, cette histoire que je vais vous raconter et qui pourrait être tout à fait véridique si elle était vraiment arrivée.
En effet, quelle ne fut pas ma surprise d’être consulté par nul autre que le Fermier Jean lui-même, celui qui avait inspiré la célèbre chanson de mon bon ami, le non moins célèbre Plume Latraverse Car Plume a pensé à moi dès que Fermier Jean lui a fait part de son problème. Plume a été inspiré par les ventes de records stratosphériques, ou les ventes de long jeux records, résultat direct de la curiosité intellectuelle des fidèles lecteurs de mon blogue « Chambre à louer, chauffée, meublée, située rue de Lorimier » Fermier Jean me consulte donc car il est inquiet au sujet d’un contrat que sa coopérative agricole, dont il est aussi administrateur, s’apprête à signer pour donner une assistance financière à un membre producteur de bestiaux quelconques. Les dirigeants de la coop sont un peu pince-la-cenne et patenteux et ils ont eu la mauvaise idée d’économiser sur les frais juridiques. Ce genre de comportement est sévèrement réprimé par les tribunaux! Pour ce faire, le directeur général a donc utilisé un excellent modèle de contrat de consignation que, vous allez tomber en bas de votre chaise d’étonnement, il avait justement acquis sur le site Édilex!
Malheureusement, il a adapté le modèle avec un contrat de vente à tempérament qu’il avait obtenu dans un vieux formulaire de la Chambre des Notaires, datant malheureusement d’avant la réforme du Code civil du Bas-Canada en 1994. Il n’était alors pas question de publication au registre des droits personnels et réels mobiliers.
Cerise sur le gâteau, un client le la caisse populaire, dont le gérant est aussi administrateur de la coop, avait remis ce à ce dernier ce qu’il considérait être un excellent contrat de service rédigé par une entreprise de Pondichéry en Inde, ancienne possession française qui offrait des services d’ « outsourcing » juridique dans la langue de Molière! De larges extraits de ce contrat ont donc été incorporés par le directeur dans le modèle soumis au conseil de la coop. Le résultat inquiète le Fermier Jean au plus haut point.
Quelle hasard incroyable, j’ai justement sous la main un arrêt de notre Cour d’appel Entreprises Mière inc. (Syndic de) 2012 QCCA 176 qui a justement été confrontée exactement à ce scénario, ce qui nous démontre qu’il n’est en rien rocambolesque.
Dans cette affaire, la Cour devait qualifier un contrat fabriqué par des apprentis-sorciers et rechercher l’intention réelle des parties. La coop, dans ce dossier, voulait donner une aide financière à un producteur de bétail. La cour a déterminé que la véritable qualification juridique de l’entente était une vente avec réserve de propriété. En l’absence de publication au RDPRM, cette vente est donc inopposable aux tiers et au syndic puisqu’elle ne se qualifie pas de créancière garantie au sens de la Loi sur la Faillite et l’Insolvabilité.
Le Fermier Jean, satisfait, demandera donc à sa coop de consulter un juriste avant de signer car, après, quand les choses vont mal et qu’on a vraiment besoin d’une sûreté, il est un peu tard. On trouve alors que le modèle de contrat, mal utilisé, coûte très cher.