Le diable est dans les détails
Ça se passait en 2010. L’entreprise Quad/Graphics, propriétaire de l’entreprise World Color Press (anciennement connu sous Quebecor World), annonçait la fermeture de l’usine de Saint-Jean-Sur-Richelieu. Ce qui a fait les manchettes à l’époque, c’est le congédiement d’une centaine de personnes, mais je n’en traiterai pas ici. Cependant, ce qui est intéressant pour ce billet, c’est le jugement rendu le mois passé par la Cour Supérieure, suite au litige immobilier qui a émergé de cette annonce.
En effet, World Color Press n’avait plus besoin des locaux qu’elle louait puisqu’elle n’avait plus d’usine à faire rouler. Elle a donc décidé d’envoyer un avis de résiliation de bail. Je n’entends pas beaucoup parler des résiliations de baux commerciaux qui se terminent bien. Je ne peux dire quelles sont les statistiques sur la question, mais je peux vous dire que, selon mon expérience personnelle, les clauses de résiliations font très régulièrement l’objet de litige. Une rédaction claire et simple est susceptible de décourager les litiges, mais même lorsque l’on pense que la clause est claire, la partie adverse peut la voir différemment.
Tel que mentionné plus haut, la Cour Supérieure a récemment rendu une décision dans l’affaire World Color Press c. Édifice 800 boulevard Industriel inc. (ci-après « Édifice 800 »). Le débat semble avoir été principalement sur l’interprétation de la clause de résiliation qui se lisait comme suit :
« Le Locataire aura l’option de résilier le Bail en date du 31 mars 2012 (l’ « Option de Résiliation »), pourvu qu’il avise le Bailleur par écrit de son intention d’exercer l’Option de Résiliation le ou avant le 31 mars 2011. Si le Locataire exerce l’Option de Résiliation, le Locataire devra payer au Bailleur le ou avant le 31 mars 2011, une pénalité de un million de dollars (1,000 000,00 $) (la «Pénalité») en paiement complet et final de toutes les obligations du Locataire en vertu du Bail tel qu’amendé par l’Amendement à la Convention de Renouvellement (sauf pour 16.6.1 tel que modifié ci-dessous) et le Bail prendra fin le 31 mars 2012… »
À première vue, ça semble simple. Les parties ont cependant trouvé des failles.
World Color Press a envoyé un avis le 31 mars 2011, mentionnant qu’un chèque d’un million de dollars était joint à l’envoi, afin de payer la pénalité. Malheureusement pour World Color Press, malgré la mention dans la lettre, le chèque n’était pas joint à l’envoi. Édifice 800 en a donc profité pour déclarer que l’avis de résiliation n’était pas valide puisque la pénalité n’avait pas été payée à temps, et que donc le bail n’était pas résilié. World Color Press s’est évidemment empressé d’envoyer le chèque, mais rien n’y fit. Édifice 800 restait campé sur sa position. Un litige commençait.
World Color Press a décidé de complexifier le tout. En effet, non seulement elle prétendait que son avis de résiliation était valide, mais en plus elle prétendait que le paiement du million de dollars la libérait de toutes obligations envers Édifice 800, y inclus le paiement du loyer pour l’année qui restait au bail.
Qui aurait cru que deux si petites phrases puissent soulever autant de questions intéressantes. D’autres questions ont été soulevées relativement à d’autres clauses du bail, mais je n’en traiterai pas ici. Quoi qu’il en soit, la Cour avait un beau débat devant elle.
Dans le cadre de son analyse, la Cour a d’abord décidé qu’elle pouvait entendre la preuve concernant les négociations entourant l’amendement à la clause de résiliation. Après avoir entendu la preuve, la Cour a conclu que l’avis de résiliation était valide puisque la résiliation n’était pas conditionnelle au paiement. Elle a particulièrement noté que le délai pour le paiement n’avait pas été expressément mentionné comme étant de rigueur.
Par ailleurs, grâce à l’analyse des versions antérieures du bail, la Cour en vient à la conclusion que World Color Press devait payer son loyer pendant l’année du préavis. Cette fois, la Cour a mentionné qu’elle pouvait interpréter un contrat en apparence clair si des éléments de preuves suffisants laissaient croire que le texte ne reflétait pas l’intention réelle des parties. Dans ce cas-ci, les mots « une pénalité de un million de dollars (1,000 000,00 $) (la «Pénalité») en paiement complet et final de toutes les obligations du Locataire en vertu du Bail » semblaient assez clairs, aux yeux de la Cour, que World Color Press ne devait pas payer le loyer durant l’année. Cependant, la Cour conclut que l’intention réelle des parties ne pouvait pas avoir ce sens puisque le but de l’amendement à la clause était d’imposer le paiement de la pénalité le jour de l’avis de résiliation et non pas de réduire à néant la valeur de la pénalité.
En conclusion, l’avis de résiliation était valide, mais le locataire devait tout de même payer son loyer durant cette année de préavis.
Évidemment, si le chèque pour le paiement de la pénalité avait été placé dans l’enveloppe, peut-être n’y aurait-il eu aucun litige, mais qui sait? Ce qui est certain, cependant, c’est que le respect minutieux des clauses du contrat donne moins de possibilités à un éventuel litige.