On recommence à se montrer exigeant envers les requérants…

Je discute rarement, dans mes billets, du critère énoncé à l’article 1003 (d) du Code de procédure civile pour obtenir l’autorisation d’exercer un recours collectif (le représentant « est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres« ). La raison en est simplement qu’à travers les années les tribunaux québécois ont réduit cette obligation à sa plus simple expression et que, à moins de démontrer que le représentant proposé n’a pas de recours à faire valoir, il est presque impossible de contester l’autorisation sur cette base (un juge que je ne nommerai pas m’a même déjà dit, et je cite, « je comprends pas pourquoi vous les avocats en défense faite un plat de ce critère puisque vous devriez être heureux quand la demande choisi un piètre représentant »).

Cependant, un facteur important semble pousser le pendule à revenir dans la direction contraire. En effet, les juges n’aiment pas voir des recours collectifs dont la genèse vient entièrement des avocats, i.e. des recours où les avocats décident d’intenter un recours collectif et partent à la recherche d’un représentant. C’est pourquoi quelques jugements récents se montrent plus exigeants quant aux démarches effectuées par le représentant proposé. La décision récente dans l’affaire Patenaude c. Montréal (Ville de) (2012 QCCS 2402) en est une belle illustration.

Dans cette affaire, le Requérant cherche l’autorisation pour intenter un recours collectif au nom de certaines personnes ayant subi des dommages causés par des refoulements d’égouts ou des infiltrations par les eaux de surface, suite à des précipitations ayant eu lieu le 2 août 2008.

Saisi de cette demande, l’Honorable juge Daniel W. Payette se penche entre autre sur la capacité de représentation du requérant. Il souligne, autorités à l’appui, que le représentant proposé doit (a) avoir l’intérêt pour poursuivre, (b) ne pas être en conflit d’intérêts et (c) être compétent à titre de représentant. Selon le juge Payette, cela implique notamment que le représentant proposé établisse qu’il a fait une enquête raisonnable et qu’il est en mesure de diriger les démarches requises pour le recours. Pour s’en satisfaire, il scrute donc le cheminement du requérant dans le contexte précis du recours proposé.

Outre qu’il note que la requête en autorisation ne contient pas beaucoup d’information sur la capacité du représentant proposé de mener le groupe proposé, le juge Payette note qu’il n’a pas effectué beaucoup de démarches à l’appui du recours:

[75] D’autre part, ni la Requête, ni l’interrogatoire ne permettent de conclure que le Requérant aurait procédé à quelque « nouvelle enquête ».

[76] Le Requérant a accepté de prêter son nom et son concours aux procureurs qui cherchaient quelqu’un pour reprendre le recours rejeté, sans plus.

[77] Certes, il sait que d’autres que lui ont subi des dommages lors de la pluie du 2 août 2008. Cependant, il n’allègue ni ne témoigne d’aucune démarche concrète qui soutienne sa prétention que ces dommages sont reliés à une faute de la Ville, si ce n’est que la Requête fasse état d’un article publié dans Le Devoir trois ans plus tard, à l’occasion d’un sinistre distinct et dont on ne peut tirer grand chose.

[78] Il est incapable de dire si le système d’égouts de la Ville est déficient ou s’il présente des lacunes. Lorsqu’on lui demande comment il a choisi les arrondissements visés par la Requête, il répond que ce n’est pas lui qui les a choisis.

[79] Il ressort de l’interrogatoire que le Requérant ne semble pas réaliser la complexité du recours qu’il propose ni l’ampleur des démarches qu’il suppose alors même qu’il ne peut donner lieu à une réponse commune pour l’ensemble des membres.

À la lumière de ces éléments, le juge Payette en vient à la conclusion que le représentant proposé n’est pas adéquat:

[82] En l’espèce, le Requérant n’a pas consacré beaucoup de temps à l’affaire. Jusqu’à la fin du mois de février 2011, il s’est informé annuellement de l’évolution du recours antérieur pour en aviser les autres copropriétaires de son immeuble à titre de secrétaire de leur syndicat. Outre quelques articles de journaux contemporains aux événements, il n’a pas lu sur le sujet ni procédé à la moindre enquête.

[83] Il n’a pas initié le recours à proprement parler ni n’en a délimité la portée. Jusqu’à quelques semaines à peine avant de signer la Requête, il ne s’est pas impliqué activement dans la démarche entreprise par mesdames Côté et Rainville. Ce n’est pas lui qui a choisi les procureurs. C’est plutôt le contraire.

[…]

[85] Il ne s’agit pas ici de remettre en question les qualités personnelles ou la crédibilité du Requérant. Cependant, il n’a pas démontré qu’il est cette personne par qui les membres accepteraient d’être représentés si la demande était formée selon l’article 59 C.p.c. Le critère de l’alinéa d) de l’article 1003 C.p.c. n’est pas satisfait.

Il s’agit définitivement là d’un cas où la Cour se montre plus exigeante qu’à l’habitude quant à la capacité du représentant proposé de mener à terme le recours collectif envisagé. Il sera donc intéressant de voir, dans l’éventualité où le jugement était porté en appel, si la Cour d’appel avalisera ce procédé. Reste que les parties requérantes en matière de recours collectif seraient bien avisées d’etre plus généreuses quant aux allégations contenues dans la requête en autorisation en ce qui a trait à la capacité de représentation, notamment en détaillant les démarches effectuées par le représentant proposé.