Say my name, say my name…

En cette semaine si particulière qui se trouve à faire le pont entre la Fête Nationale et la Fête du Canada, les débats sur la question linguistique sont à l’honneur. Le 23 juin dernier, M. André Pratte s’inscrivait d’ailleurs dans cette tendance en abordant dans son éditorial la question de l’affichage de marque de commerce en anglais. Il notait que la prolifération des Best Buy, Home Sense et autre EB Games agaçait à ce point nombre de Québécois que l’Office de la langue française (l’ « OQLF ») a décidé de sévir en adoptant, au cours des dernières semaines, une approche plus agressive cet égard.

Quels sont donc les fondements juridiques derrière cette décision de l’OQLF?

Tout d’abord, comme le mentionnait d’ailleurs ma collègue, Me Gabrielle Gélineau, dans son billet du 30 mars dernier, en vertu de l’article 63 de la Charte de la langue française (la « Charte »), tant la dénomination sociale que le nom d’une entreprise faisant affaires au Québec doivent respecter la Charte de la langue française. De plus, l’article 58 de la Charte prévoit que « [l]’affichage public et la publicité commerciale doivent se faire en français », sous réserve qu’ « [i]ls peuvent également être faits à la fois en français et dans une autre langue pourvu que le français y figure de façon nettement prédominante».

Notons toutefois que l’article 25 du Règlement sur la langue du commerce et des affaires (le « Règlement ») prévoit que «  [d]ans l’affichage public et la publicité commerciale, peuvent être rédigés uniquement dans une autre langue que le français: 1° le nom d’une entreprise établie exclusivement hors du Québec; 2° une appellation d’origine, la dénomination d’un produit exotique ou d’une spécialité étrangère, une devise héraldique ou toute autre devise non commerciale; 3° un toponyme désignant un lieu situé hors du Québec ou un toponyme dans cette autre langue officialisé par la Commission de toponymie du Québec, un patronyme, un prénom ou un nom de personnage, de même qu’un nom distinctif à caractère culturel; 4° une marque de commerce reconnue au sens de la Loi sur les marques de commerce (la « Loi »), sauf si une version française en a été déposée».

C’est à propos de cette dernière exception que le débat fait rage. En effet, les compagnies faisant affaires au Québec et détenant les droits sur des marques de commerce reconnues au sens de la Loi dont aucune version française n’est déposée, arguent qu’en vertu de l’article 25 (4) du Règlement elles peuvent afficher la marque de commerce en question sur la devanture de leur commerce, et ce sans obligation de la francisée, puisqu’elles l’utilisent alors à titre de marque associée à un service. Or, il semble que l’OQLF ne perçoive pas les choses de la même façon. En effet, pour l’OQLF, lorsqu’affichée de cette manière, l’expression, même sous forme de logo, ferait plutôt office  de nom d’affaires que de marque de commerce.

Peu de jurisprudence existe sur cette question. Toutefois, le jugement de la Cour supérieure dans l’affaire Centre Sportif St-Eustache c. Procureur général du Québec tend à soutenir la position de l’OQLF. En effet, bien que la Cour y indique qu’il soit parfois difficile de déterminer si un mot ou une expression, même sous forme de logo, est utilisé à titre de nom d’affaires ou à titre de marque de commerce de service, elle affirme cependant que « the distinction between trade names and trade marks lies mainly in the fact that a trade mark is used in association with a vendible commodities or services while a trade name is more properly used as applied to the goodwill of the business». En l’espèce, il fut jugé que l’utilisation de l’expression BOWL-MAT ne désignait pas un service particulier, mais était plutôt liée à l’achalandage de l’entreprise. Nous en déduisons que la cour a jugée que l’utilisation de l’expression BOWL-MAT visait à ce que la clientèle de l’entreprise ait un moyen de désigner cette entreprise en particulier plutôt que d’informer le client de la provenance des services qui y étaient offerts. 

En l’espèce, BOWL-MAT n’était pas une marque célèbre et, à notre connaissance, un seul établissement était exploité par le propriétaire. Mais qu’en est-il des Wal-Mart, Best Buys et Home Sense de ce monde? On peut en effet imaginer que, dans leur cas, l’utilisation de ces expressions vise non seulement à désigner l’entreprise mais aussi  à indiquer aux clients moyens pressés que les services offerts à l’établissement de Boucherville et ceux offerts à Laval ont une provenance commune.

Aussi, le conseil donné par M. Pratte, soit celui d’éviter les juges et, par extension, les tribunaux, paraît fort avisé puisque la question demeure épineuse. Aussi, pourquoi ne pas prendre exemple sur le géant Second Cup qui, au Québec, ajoute sur ses enseignes l’expression « Les cafés » avant sa marque de commerce, se conformant ainsi sans trop d’efforts à l’article 27 du Règlement qui prévoit que « peut figurer comme spécifique dans un nom, une expression tirée d’une autre langue que le français, à la condition qu’elle soit accompagnée d’un générique en langue française » et s’attirant, du même coup, un peu de sympathie de la part de la population. À bon entendeur…