Bail immobilier commercial: La liberté de contracter un bail commercial et celle de le renouveler… ou non!

À l’expiration de la durée convenue pour un bail, celui-ci prend fin automatiquement, sans nécessité de préavis à l’autre partie l’avisant en ce sens. À ce titre, le Code civil du Québec (1) énonce clairement à l’article 1877 qu’« un bail à durée fixe cesse de plein droit à l’arrivée du terme.» D’autre part, l’article 1879 vient nuancer le principe en édictant que «le bail est reconduit tacitement lorsque le locataire continue, sans opposition de la part du locateur, d’occuper les lieux plus de dix jours après l’expiration du bail » . Cela semble bien clair, et surtout très simple, mais une question particulière devait être analysée dans une affaire récente entendue en Cour supérieure devant le juge Paul Corriveau (Légaré c. Bérard (Centre Mécanique FB) 2012 QCCS 735 (24 février 2012)), question que nous tentons de résumer comme suit:

Bien qu’un contrat soit (i) sans équivoque quant à son terme, (ii) qu’il y ait eu un envoi au locataire d’un avis de non-renouvellement et (iii) qu’il y ait eu opposition du locateur quant à l’occupation des lieux par le locataire après l’expiration de la durée, un locataire peut-il néanmoins revendiquer le droit à un renouvellement en invoquant que son locateur a le devoir de se préoccuper des conséquences néfastes du non-renouvellement pour le locataire et doit faire preuve… d’humanisme?

Cette question est longue et bien profonde, mais le jugement fut succinct et très clair.

Dans cette affaire se déroulant dans la magnifique Loretteville, les copropriétaires d’un immeuble à usage mixte (ci-après « Légaré ») louent une des bâtisses, constituant la portion commerciale, à deux locataires distincts œuvrant dans le débosselage et la peinture de véhicule automobile, ainsi que la mécanique générale. Légaré, se portant demandeur, réclame que le bail avec le locataire défendeur Centre Mécanique F.B. (ci-après «Centre Mécanique»), soit déclaré terminé et qu’il soit ordonné à ce dernier de quitter les locaux. De plus, il demande le remboursement de ses honoraires d’avocat de même qu’une somme pour troubles et inconvénients. Le défendeur, se portant demandeur reconventionnel, plaide que Légaré tente de favoriser l’autre locataire-occupant de la bâtisse et invoque l’abus de droit du locateur qui ne souhaite pas renouveler son bail, arguant que le comportement de Légaré est déloyal et malhonnête, et qu’il manque… d’humanisme.

Le bail de Centre Mécanique avait été conclu avec des propriétaires antérieurs, pour une durée d’un an, soit du 1er juillet 2010 au 30 juin 2011. Bien que Centre Mécanique soit occupant de la bâtisse depuis 1996, les parties avaient convenu cette fois d’un bail court, les propriétaires antérieurs voulant ainsi permettre aux futurs acquéreurs de décider eux-mêmes du sort de Centre Mécanique. Par lettre datée du 1er décembre 2010, l’acquéreur Légaré avise donc Centre Mécanique qu’il sera propriétaire à compter du 1er février 2011 et qu’il entend respecter le bail sous les mêmes conditions jusqu’au terme de celui-ci. Le futur locateur prend soin toutefois de mentionner au locataire Centre Mécanique que les conditions de location seraient réévaluées pour la continuité du bail au début mars 2011.

Ce qui devait arriver arriva et suite à son acquisition, Légaré communiqua avec l’autre locataire de la bâtisse commerciale, Finition Plus inc. (ci-après «Finition Plus»), et convient de lui louer l’espace de Centre Mécanique, l’occupation des lieux étant prévue pour le 1er juillet 2011. Légaré aurait désormais un locataire unique avec une durée de location plus longue et une possibilité de renouvellement à bon prix, donc, une meilleure affaire.

Le 28 mars 2011, soit un peu plus de trois mois avant l’arrivée du terme de Centre Mécanique, Légaré avise Centre Mécanique que son bail ne serait pas renouvelé et lui demande de quitter les locaux pour le 30 juin 2011. Par l’entremise de son procureur, Centre Mécanique avise les demandeurs qu’il serait impossible pour lui de se relocaliser dans le même secteur dans un si court laps de temps et qu’il était convaincu que son bail avait été renouvelé avec la lettre de décembre 2010, comme il l’avait été au cours des dernières années. Il décide unilatéralement de continuer d’occuper le local, malgré l’avis de terminaison reçu des demandeurs, et fustige contre le fait qu’il a été pris par surprise, que les demandeurs favorisent son voisin Finition Plus qui profitera de la clientèle que Centre Mécanique perdra. Centre Mécanique, selon elle, n’avait donc pas le choix de rester dans les locaux, et Légaré, n’avait pas le choix…d’intenter un recours en éviction.

La Cour n’a pas retenu l’argumentaire du procureur du défendeur, à savoir que « le Tribunal ne devrait pas se limiter à analyser les stricts liens de droits qui unissent les parties, mais regarder aussi les à-côtés des relations contractuelles de celles-ci ». De plus, le procureur demande à la Cour de juger de cette affaire avec une approche «humaniste et non selon l’approche rigoureuse du simple rapport contractuel entre les parties ».

La Cour est directe et claire : « Rien n’obligeait les demandeurs à proposer un renouvellement du bail au défendeur comme rien n’obligeait celui-ci à accepter un tel renouvellement ». Bref, il s’agit du principe même de la liberté contractuelle. Selon elle, Légaré a agi raisonnablement, en respectant le contrat et la loi. Elle ordonne au défendeur de quitter les locaux, le condamne à rembourser les honoraires d’avocat du demandeur et elle déclare le bail comme étant terminé au 30 juin 2011. Néanmoins, la Cour n’a pas jugé qu’il y avait eu mauvaise foi du défendeur.

Nous tenons à ajouter qu’en contre-interrogatoire, Légaré avait mentionné n’avoir jamais parlé de renouvellement du bail avec Centre Mécanique, ce que Centre Mécanique a reconnu. Ce fait revêt une importance, puisqu’un début de négociations aurait automatiquement entraîné une obligation pour les parties à agir de bonne foi et négocier, de bonne foi…, un renouvellement. Sur ce point, Paul Mayer, maintenant juge à la Cour Supérieure, explique cette obligation :

«(…) lorsqu’un locateur et un locataire ont commencé à négocier un bail [ou un renouvellement], il ne peut être mis fin aux négociations de manière abusive ou arbitraire. On engage sa responsabilité lorsqu’on ne satisfait pas aux attentes légitimes de l’autre qui s’attend de signer un bail [ou un renouvellement], si on lui a donné à penser que le bail [ou le renouvellement] serait conclu ». (2)

Brigitte Lefebvre, professeur titulaire à l’Université de Montréal, nuance cette obligation à négocier, puis à conclure une entente :

« L’obligation de négocier ne doit s’imposer qu’une fois les pourparlers solidement amorcés. Il existe une période de temps plus ou moins longue où les parties «vont à la pêche» et où elles tentent de voir s’il existe une base de négociations possible entre elles. Durant cette période, les cocontractants doivent pouvoir se retirer en tout temps. Ce n’est que lorsque les négociations sont véritablement entamées que l’on pourra possiblement parler d’obligation de négocier ou d’en discuter ». (3)

[nos ajouts]

Pour terminer, un conseil pour les locataires commerciaux : lorsque votre entreprise repose sur une clientèle géographique fidélisée, il vaut mieux négocier et inclure au bail une ou des options de renouvellement qui pourront être exercées ou non, et tenter d’obtenir une plus longue durée de location si l’on tient à l’emplacement. Sans de telles options, la loi et la jurisprudence sont claires : le bail à durée fixe prend fin à l’expiration de sa durée et la liberté contractuelle permet à un locateur de ne pas renouveler un bail, même si cela pose des maux de tête au locataire!

(1) Code civil du Québec, L.Q. 1991, c.64

(2) P. MAYER, « Les baux commerciaux » dans Louage commercial : un monde en évolutions, Scarborough, Ont. Carswell Publications spécialisées Thomson, 2000, p.81

(3) B. LEFEBVRE, La bonne foi dans la formation du contrat, Cowansville, Édition Yvon Blais, 1998, p.119