Le message sera-t-il reçu?

Parce que j’ai toujours agit en défense en matière de recours collectif et parce que j’ai souvent critiqué des décisions que je trouvais trop généreuses envers la demande, plusieurs en sont venus à la conclusion que j’ai une dent contre l’institution du recours collectif. Il n’en est rien, bien au contraire. Je suis un fervent croyant en la vocation et l’importance sociale du recours collectif, lequel s’inscrit selon moi comme un outil procédural essentiel.

Ceci étant dit, je crois que nous perdons trop souvent de vue le fait que le recours collectif est un simple véhicule procédural, nonobstant l’impact ancillaire important qu’il peut avoir sur les droits des parties. Ainsi, si son usage m’apparaît tout à fait approprié pour sanctionner les fautes commises à l’encontre d’un grand nombre de justiciables, il m’apparaît grossièrement inapproprié comme méthode d’enquête sur les pratiques d’une industrie ou même d’une compagnie en particulier. Comme dans toute autre action, la demande doit pouvoir alléguer et prouver la faute, le dommage et le lien de causalité.

Le hic, c’est que, parfois, la demande n’a pas la moindre idée de la façon dont elle fera cette preuve, se contentant de formuler des allégations et de répondre à toute objection à ce modus operandi que la preuve qu’elle recherche se trouve dans le dossier de la ou les défenderesses. D’ailleurs, lorsqu’on interroge le représentant, il nous dira souvent qu’il n’a aucune preuve de ce qu’il avance. S’en suit une véritable recherche à l’aveuglette dans les dossiers des parties défenderesses pour chercher des éléments qui prouveront la théorie de la demande.

Pourtant, dans Harmegnies c. Toyota Canada Inc. (2008 QCCA 380), l’Honorable juge Jean-Louis Baudouin avait déjà servi la mise en garde voulant que le recours collectif n’était pas un outil approprié pour punir une partie défenderesse qui contrevenait à la loi et donc, par extension, que ce type « d’enquête » n’est pas approprié:

[48] Or, un comportement fautif ne donne naissance à une créance basée sur la compensation de la perte subie que si, et seulement si, dans les faits, cet acte a provoqué un dommage, a causé un préjudice. Le recours collectif n’est pas le moyen de punir un contrevenant à la loi, mais bien seulement d’indemniser un groupe de personnes pour des pertes réelles subies en commun.

Malheureusement, et cela soit dit avec beaucoup d’égards, le message ne semble pas vraiment avoir passé puisque l’on voit de plus en plus de recours collectif où le représentant ou la personne désignée n’est pas capable de supporter les allégations formulées, sans pour autant que le recours soit rejeté. Or, dans la très récente décision rendue par la Cour d’appel dans Banque de Montréal c. Marcotte (2012 QCCA 1396), l’Honorable juge Pierre J. Dalphond effectue un certain rappel à l’ordre lorsqu’il indique:

[76] À ceux qui craignent des poursuites ingérables ou sans fondement, je rappelle que lorsqu’il/elle est saisi(e) d’une requête pour autorisation d’introduire une action collective contre plusieurs défendeurs, le/la juge doit s’assurer que le requérant est en mesure de représenter adéquatement tous les membres du groupe (art. 1003d) C.p.c.). Cela justifie de vérifier son degré de connaissance de la situation des personnes qu’il voudrait représenter, particulièrement à l’égard de défendeurs contre qui il ne peut personnellement réclamer quoi que ce soit, et ce, pour éviter, notamment, un recours à l’aveuglette. Le recours collectif n’est pas une procédure d’enquête sur un secteur commercial ou industriel!

Espérons maintenant que ce message sera bien reçu.

En formulant ce propos, je ne suggère pas que la demande, pour réussir, doit toujours avoir entre les mains toute l’information et tous les documents nécessaires à sa preuve avant de déposer son recours. En effet, je conçois facilement que ces éléments puissent être hors de sa portée et seulement entre les mains de la partie défenderesse. Mais le représentant doit pouvoir formuler des allégations précises, avoir une connaissance plus que minimale de sa cause d’action et posséder une preuve prima facie sérieuse de ce qu’il avance. Autrement, on se retrouve dans une véritable commission d’enquête où la demande plonge dans les documents de la défense pour tenter d’y trouver sa cause d’action. C’est là une situation fondamentalement injuste pour toute partie défenderesse.