Les terrains contaminés et la responsabilité sans faute

Le 17 juin 2011, je vous écrivais à propos du trouble de voisinage.

Mais voilà que cet été, la Cour supérieure a rendu une décision, dans le cadre d’un recours collectif, confirmant à nouveau le principe de la responsabilité sans faute dans la relation de bon voisinage.

Vous en avez certainement entendu parler. C’est l’histoire du village de Shannon, qui se trouve à proximité de la base militaire de Valcartier, ainsi que d’une usine de fabrication de munition.

La base militaire et l’usine ont déversé pendant des décennies une substance toxique, le TCE, qui a finalement atteint la nappe phréatique de la région. Ce fait n’était, apparemment, pas nié. Ce que les défendeurs prétendaient cependant c’est qu’ils n’avaient pas commis de faute. Il alléguait de plus qu’il n’y avait pas de lien entre le taux élevé, si tant est que le taux ait été élevé, de résurgence du cancer et l’eau contaminée.

Dans une décision de quelque 130 pages, la Cour supérieure mentionne que la demanderesse, la représentante du groupe de recours collectifs, devait établir, comme dans tous les dossiers de responsabilité extracontractuelle, une faute, un dommage et un lien de causalité. La demanderesse prétendait que d’avoir déversé du TCE dans le sol pendant plus de 30 ans pour se départir de ses restants constituait une faute. Le juge a décidé de ne pas analyser cette question, puisqu’il n’avait pas besoin de le faire. En effet, en analysant les autres critères, il en vient à la conclusion que la demanderesse n’a pas prouvé que le taux de cancer était si anormalement élevé dans la région. Il conclut en plus et surtout qu’elle n’a pas prouvé que ce taux de cancer était lié à la présence de TCE dans l’eau.

La médecine a beau faire des pas de géants, elle n’était pas en mesure, dans ce cas-là, comme dans bien d’autres d’ailleurs, de démontrer la cause exacte des cas de cancer. Les experts ont donc fait des analyses de chiffres pour en tirer des conclusions. Ces analyses n’étaient pas suffisamment convaincantes aux yeux de la Cour pour en venir à la conclusion que l’augmentation du taux de cancer était probablement due à la présence de TCE dans l’eau.

La Cour conclut donc que les défendeurs n’ont donc pas encouru leur responsabilité extracontractuelle.

Cependant, au début des années 2000, lorsqu’une présence anormale de TCE a été découverte dans les puits privés de certains résidents, ceux-ci ont dû cesser d’utiliser leur puits. Ils ont ensuite attendu un an avant que l’on trouve et implante une solution pour assurer une eau de bonne qualité, et ne contenant que le taux acceptable de TCE.

La solution retenue a été de construire un réseau d’aqueduc et de préparer le plan d’implantation de façon telle que les résidences les plus atteintes ont été les premières à jouir de ce nouveau service.

Pour la Cour, le droit à une eau saine est un droit précieux. Le fait d’avoir contaminé la nappe phréatique est très certainement un trouble excessif de voisinage. La Cour confirme à nouveau que notre code civil a créé un régime de responsabilité sans faute dans le cadre des troubles excessifs de voisinage. Par conséquent, elle condamne les défendeurs à dédommager les résidents de la région la plus certainement touchée, et qui pendant un an, n’ont pu se servir de leur eau. Pour ce dommage, la Cour accorde un montant de 1000 $ pas mois d’occupation pour chaque personne majeure résident dans un secteur très déterminé, et un ajout de 3000 $ si des mineurs à charge résidaient sur les mêmes lieux. Par conséquent, la condamnation ne pouvait excéder 15 000 $ par personne. Il y a lieu de mentionner que c’est le gouvernement fédéral qui a assumé les coûts de construction du réseau d’aqueduc.

Il s’agit d’un jugement intéressant sur cette base-là. Je sais, pour avoir lu des articles de journaux à ce sujet, entre autre celui-ci, que les résidents de Shannon, et en première ligne, la plaignante, ont été très déçus du jugement, malgré leur victoire partielle. Je ne peux pas faire de commentaires, n’ayant pas assisté au procès et ne connaissant pas la preuve soumise, cependant, le jugement est intéressant puisqu’il met l’eau et les troubles de voisinage à l’avant-plan.

Plusieurs entreprises sont aux prises avec des terrains contaminés, datant souvent, d’une époque ancienne où les déversements n’étaient pas nécessairement légaux, mais ils n’étaient très certainement pas aussi proscrits qu’aujourd’hui. Il s’agit, eu égard à ce jugement, d’un risque important, puisque même sans aucune faute de la part du propriétaire du terrain, il pourrait être appelé à dédommager des personnes souffrant de cette contamination. Si par exemple, un oléoduc devait percer et déverser des hydrocarbures, qui pourraient faire leur chemin jusqu’à la nappe phréatique, rendant ainsi l’eau impropre à sa consommation, un recours pourrait être institué par toutes personnes dont le puits a été atteint. Je ne me limiterais cependant pas à ça. Il me semble évident également que si des champs devenaient inutiles à cause de la présence d’hydrocarbure, le même raisonnement devrait s’appliquer.

Il ne s’agit que d’un exemple d’application de ce jugement, j’en vois beaucoup d’autres, en ces temps, par exemple d’exploration de gaz de schiste. À vous propriétaires de terrain, je ne le répèterai pas assez, soyez vigilants puisque vous n’avez pas besoin de commettre une faute pour devoir compenser un trouble excessif de voisinage.