La Cour suprême du Canada vient de prononcer un jugement-clé sur la confidentialité d’une médiation

La confidentialité d’une médiation est assurée autant par le privilège de droit commun (qui, malgré son nom, s’applique aussi au Québec) relatif aux discussions visant à régler un différend que par des clauses de confidentialité que l’on retrouve dans presque toutes les ententes de médiation.

La jurisprudence concernant le privilège de droit commun relatif aux discussions visant à régler un différend y a cependant apporté quelques exceptions, dont l’une voulant que ce privilège cesse de s’appliquer lorsqu’une entente est conclue.

Par ailleurs, les clauses de confidentialité que l’on retrouve dans les ententes de médiation ont généralement une portée très large et ne mentionnent que très rarement les exceptions au privilège de droit de commun relatif aux discussions visant à régler un différend.

La question importante suivante peut donc se poser après que, au terme d’une médiation (pour laquelle les parties ont signé une entente de médiation comportant une clause générale de confidentialité), les parties ne s’entendent pas sur la portée, ou sur l’interprétation, d’une entente conclue entre elles : Une partie peut-elle alors alléguer devant un tribunal la teneur de certaines discussions échangées pendant le processus de médiation comme preuve de la portée, ou de l’interprétation, de l’entente conclue au terme de la médiation?

C’est à cette question épineuse à laquelle la Cour suprême du Canada a répondu dans l’important jugement qu’elle a rendu jeudi dernier, le 8 mai 2014, dans l’affaire Union Carbide Canada Inc. à Bombardier Inc. (que vous pouvez lire en cliquant ici).

Sans entrer dans les détails de cette affaire, disons que les parties étaient impliquées dans plusieurs, et importants, litiges concernant un défaut de fabrication d’un réservoir à carburant pour motomarines.

À un certain moment, elles ont convenu d’avoir recours à une médiation entre elles et ont signé, avec le médiateur choisi, une entente de médiation comportant une clause de confidentialité qui se lisait ainsi :

« Tout ce qui pourra être dit ou écrit au cours de la médiation sera confidentiel.  À cet égard, notamment :

(a)      Rien de ce qui pourra être dit ou écrit au cours de la médiation ne sera allégué, mentionné ou présenté en preuve dans le cadre d’une instance;

(b)     Aucune déclaration faite ni aucun document produit au cours du processus de médiation ne pourra faire l’objet d’une communication préalable ou d’un témoignage contraint, ni être admissible en preuve, dans le cadre d’une instance; toutefois, rien n’empêchera une partie d’utiliser, dans le cadre d’une procédure judiciaire ou autre, un document qui a été communiqué au cours du processus de médiation et qu’elle aurait pu autrement produire;

(c)      Les souvenirs du médiateur, de même que les documents et les travaux produits par celui?ci, seront confidentiels et ne pourront faire l’objet d’une communication préalable ou d’un témoignage contraint dans le cadre d’une instance. ».

Après divers échanges, les parties ont effectivement conclu une entente au terme de cette médiation.

Par la suite, au moment de rédiger les quittances devant constater ce règlement, une mésentente est survenue entre les parties quant à la portée de l’entente conclue, l’une des parties étant d’avis que cette entente mettait fin à tous les litiges concernant les réservoirs défectueux alors que l’autre était plutôt d’avis que l’entente ne visait que le litige qui faisait l’objet d’une poursuite alors pendante devant la Cour supérieure du Québec, et non pas tous les autres recours pouvant découler de cette situation.

Devant l’impossibilité de finaliser les quittances donnant effet à leur entente en raison de cette difficulté d’interprétation de sa portée, Bombardier Inc. a présenté une requête en homologation de cette transaction comportant quelques allégués faisant état de discussions et échanges faits pendant la médiation afin de soutenir sa prétention que la transaction intervenue ne visait que le dossier pendant devant la Cour supérieure du Québec.

Les procureurs d’Union Carbide Inc. ont réagi en déposant à leur tour une requête en radiation des allégations traitant des discussions et échanges faits dans le cadre de la médiation en invoquant le caractère confidentiel du processus de médiation ainsi que la clause de confidentialité conclue entre les parties à cette médiation.

La Cour supérieure du Québec a accueilli la requête en radiation présentée par les procureurs d’Union Carbide Inc. et la Cour d’appel du Québec a renversé la décision de la Cour supérieure du Québec en énonçant que le privilège relatif aux communications échangées afin de régler un différend cessait de s’appliquer dès qu’une entente était conclue et n’empêchait pas une partie d’utiliser par la suite les communications échangées lors d’une médiation pour faire la preuve de la portée, ou de l’interprétation, de l’entente conclue au terme de celle-ci.

Les parties se sont donc retrouvées devant la Cour suprême du Canada qui, sous la plume de l’Hon. juge Richard Wagner, a répondu à cette épineuse question par son jugement du 8 mai dernier.

Bien que, sur le plan légal, la question posée mettait en cause plusieurs principes juridiques, la réponse de la Cour suprême du Canada est relativement simple et peut être résumée par les quelques énoncés de principe suivants :

  1. Les communications échangées dans le cadre d’une médiation cessent d’être privilégiées lorsqu’elles ont conduit à une entente et le privilège relatif à ces communications n’empêche pas une partie de produire des communications confidentielles faites pendant la médiation afin de faire la preuve d’une entente de règlement découlant de la médiation, des modalités de leur règlement ainsi que de son interprétation ;
  2. Cependant, les parties à une médiation peuvent, par une clause de confidentialité, renforcer la protection des communications faites au cours de la médiation et, plus particulièrement, choisir d’en maintenir la confidentialité malgré la conclusion d’une entente et, en ce faisant, écarter contractuellement l’exception au privilège voulant que ces communications cessent d’être privilégiées lorsqu’elles ont conduit à une entente ;
  3. Par contre l’intention des parties d’écarter contractuellement l’exception au privilège voulant que ces communications cessent d’être privilégiées lorsqu’elles ont conduit à une entente doit être clairement exprimée par une disposition expresse à cet effet dans leur entente ; le simple fait de signer une entente de médiation assortie d’une clause de confidentialité n’écarte donc pas automatiquement ce privilège ni ses exceptions. En l’absence d’une telle disposition expresse, il serait déraisonnable, et illogique, de supposer que des parties qui ont consenti à une médiation dans le but de parvenir à un règlement ont, en ce faisant, voulu renoncer à leur droit de faire la preuve des modalités du règlement.

L’appel logé par Union Carbide Inc. a donc été rejeté et la Cour suprême du Canada a permis à Bombardier Inc. de produire, au soutien de sa requête en homologation de la transaction conclue, les éléments de preuve nécessaires pour en prouver les modalités.

Ce jugement répond donc définitivement à cette épineuse, et importante question, et guidera dorénavant les médiateurs et les parties impliquées dans une médiation dans la rédaction de leurs ententes visant la confidentialité du processus de médiation.

Notons en terminant que le nouveau Code de procédure civile du Québec (qui doit entrer en vigueur à l’automne 2015) comporte quelques articles (dont, surtout, ses articles 4, 5 et 606) encadrant la confidentialité d’une médiation, lesquels ne font pas état des exceptions reconnues au privilège de droit commun relatif à la confidentialité des communications faites dans le but de régler un différend. Une fois ce nouveau Code de procédure civile du Québec entré en vigueur, qu’adviendra-t-il de ces exceptions en droit québécois ?

Je vous invite à me contacter (par courrier électronique à jhgagnon@jeanhgagnon.com ou par téléphone au 514.931.2602) pour toute question ou tout commentaire.

Je demeure en tout temps à votre service si je puis vous être de quelque assistance que ce soit.

Jean

P.S. : Je tiens à remercier Me Martin F. Sheehan, du cabinet Fasken Martineau DuMoulin, qui représentait Bombardier Inc. dans cette affaire, d’avoir porté cet important jugement à mon attention.