Affichage public exclusivement dans une autre langue que le français: la Cour d’appel se prononce!

La Cour d’appel s’est récemment prononcée sur la question de l’affichage de marques de commerce, uniquement dans une autre langue que le français, sur la façade des établissements commerciaux.

Dans une décision unanime opposant Best Buy , Costco , GAP, Old Navy, Wal-Mart, Toys ‘R’ US, Guess et Curves (les «Intimés») à la Procureure générale du Québec (l’«Appelante»), la Cour a conclu «qu’une marque de commerce ne comportant aucun élément français peut, même lorsqu’elle est utilisée comme nom ou à la manière d’un nom d’entreprise, être affichée telle quelle, sans l’ajout d’un générique en langue française».

En d’autres termes, la Cour reconnaît que la Charte de la langue française (la «Charte») et le Règlement sur la langue du commerce et des affaires (le «Règlement») permettent aux entreprises d’afficher leur marque de commerce, dont seulement une version anglaise est déposée, sur la façade de leur établissement.

En règle générale, l’article 58 de la Charte prévoit que «l’affichage public et la publicité commerciale doivent se faire en français» OU de manière à ce que la langue française soit prédominante. Or, ce même article prévoit également que le gouvernement a la possibilité de permettre, par règlement, que l’affichage public soit uniquement dans une autre langue que le français. Ainsi, l’article 25 du Règlement prévoit quant à lui que l’affichage public peut être exclusivement dans une autre langue, notamment lorsqu’il s’agit d’une marque de commerce pour laquelle aucune version française n’a été déposée.

À la lumière de ces dispositions, la Cour est d’avis qu’il est raisonnable de croire que les Intimés respectent la loi puisque les marques de commerce qu’ils affichent n’ont pas de version française. L’Appelante ne partage pourtant pas cet avis.

Cette dernière soutient plutôt que l’article 25 du Règlement doit recevoir une interprétation plus restrictive. En effet, elle prétend que, conformément aux articles 63 et 67 de la Charte et à l’article 27 du Règlement, le nom de l’entreprise doit être en français, mais que celui-ci peut comporter un terme distinctif dans une autre langue. L’Appelante avance que pour qu’un tel affichage soit conforme, le terme distinctif doit être accompagné d’un terme générique en français. Ce faisant, elle est d’avis que comme les Intimés utilisent leurs marques de commerce de la même façon qu’un nom d’entreprise, ils doivent l’accompagner d’un terme générique en français.

La Cour rejette les prétentions de l’Appelante puisqu’une telle interprétation ne donne pas son plein effet à l’article 25 du Règlement. Elle déclare que la Charte et le Règlement ne peuvent à la fois permettre l’affichage uniquement dans une langue autre que le français et exiger que celui-ci soit accompagné d’un générique en français. En effet, elle énonce que l’article 25 du Règlement ne requiert pas un tel ajout et se prononce comme suit quant à la situation des Intimés:

[30]        Bref, que l’on envisage la question sous le seul angle de l’article 58 ou qu’on l’envisage en fonction d’une lecture combinée des articles 6367 et 68 de la Charte, la solution est la même : les intimées ont le droit d’afficher leurs marques telles quelles sur la façade de leurs établissements, même si ces marques ne comportent pas d’éléments en français.

[31]        Dans le premier cas, elles ont ce droit en raison de l’exception qu’énonce le troisième alinéa de l’article 58 de la Charte, disposition qui habilite le gouvernement à déroger au principe de l’affichage public en français (ou avec prédominance du français). Le gouvernement a promulgué une telle dérogation, qui est prévue par l’article 25 du Règlement et se décline en quatre volets. Le quatrième volet permet l’affichage public d’une marque de commerce rédigée uniquement (« exclusively ») dans une langue autre que le français (lorsqu’elle est sans version française).

[32]        Dans le second cas, c’est-à-dire celui où la marque de commerce fait également office de nom, qu’il s’agisse de la dénomination sociale propre[13] ou d’un nom autre, l’article 68, par exception aux articles 63 et 67 de la Charte, permet à une entreprise de se doter d’un nom dans une langue autre que le français, nom qui ne peut ordinairement pas être utilisé seul, sauf dans l’affichage public, et ce, en application de l’article 58. Ce renvoi nous ramène aux quatre cas de figure énumérés par l’article 25 du Règlement, au nombre desquels celui de la marque de commerce rédigée uniquement dans une langue autre que le français (et sans version française), marque qui peut donc être affichée telle quelle.

Cette décision vient donc éclaircir la question de l’affichage public des marques de commerce dans une autre langue que le français. Le droit est clair: lorsqu’une marque de commerce déposée ne possède pas de version française, une entreprise peut l’afficher sur la façade de son établissement, sans l’assortir d’un terme générique en français.