La Guerre des Gaules

Le Merveilleux Monde de l’Insolvabilité© vous a entretenu récemment de la bataille qui fait rage autour de la nomination d’un séquestre en vertu de la LFI : Les irréductibles sherbrookois   et Un pavé dans Le Mare

Mais toute la Gaule n’est pas conquise, contrairement à ce qu’a écrit Jules César dans De Bello Gallico (son fameux Commentaires sur la Guerre des Gaules),  le village de Sherbrooke résiste toujours à l’envahisseur. Les romains des camps retranchés de Bélangerum et Rigaudum attaquent avec une catapulte de type ratio decidendi dissidendum. Le chef du village n’y va pas « Abraracoursix » avec une arme infaillible et toute aussi romaine : le stare decisis.

Je traduis pour les plus jeunes qui n’ont ni lu Astérix, ni étudié le latin : les auteurs Bélanger et Rigaud ont commenté quelques décisions récentes de la Cour supérieure en matière de nomination de séquestre dans un excellent article intitulé « L’arrêt Lemare Lake change-t-il la pratique au Québec en matière de nomination de séquestre? », article paru en janvier 2017 dans Annual Review of Insolvency Law 2016, Janis P SARRA et Justice Barbara ROMAINE, Toronto, Thomson Reuters, p. 845.  Les auteurs expliquent certains désaccords avec des décisions de la Cour supérieure, désaccords renforcés en grande partie sur la dissidence solitaire (et qui semble être assez fréquente) de l’Honorable Suzanne Côté de la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt en question.

L’Honorable Gaétan Dumas de la Cour supérieure, qui a signé certaines des décisions commentées, a rapidement eu l’occasion de répliquer aux auteurs dans la décision Syndic de Moulée RL Inc. 2017 QCCS 1386 rendue le 23 mars 2017.

La décision de 19 pages est rendue dans le cadre d’une requête présentée ex parte par un créancier hypothécaire pour faire nommer un séquestre en vertu de l’article 243 de la LFI et autorisant en même temps la vente des actifs. La demande est rejetée.

Six mois après le dépôt d’un avis d’intention, la compagnie débitrice avait fait faillite. La requête est présentée le lendemain de la faillite, alors que les préavis d’exercice du recours hypothécaire de vente sous contrôle de justice ont été donnés environ deux semaines auparavant et que le délai de délaissement n’est pas expiré.

Le tribunal note de nombreuses lacunes dans la procédure : il n’est pas indiqué si le syndic, séquestre proposé, a obtenu l’avis juridique indépendant sur la validité et l’opposabilité des sûretés du créancier garanti, tel que requis par l’article 13.4 LFI; il n’est pas expliqué en vertu de quoi le syndic à l’avis d’intention a procédé à un appel d’offres et a négocié avec un acheteur; la seule urgence alléguée est le délai d’acceptation imposé par l’acheteur. Après une analyse rigoureuse des motifs de la majorité et de ceux de la dissidence dans Lemare Lake, ainsi que des commentaires des auteurs, le juge Dumas conclue qu’il faut soit se conformer aux exigences du Code civil du Québec, ou soit réaliser les biens par l’intermédiaire du syndic de faillite agissant à ce titre. En conséquence le stare decisis de l’arrêt de la majorité dans Lemare Lake s’applique.

Par contre, je jugement n’exclue pas qu’il puisse parfois être opportun de nommer un séquestre. Mais ce n’est pas le cas dans le dossier en question.

Dans une requête ex parte, avec délais réduits et qui demande d’approuver une vente, le devoir de divulgation de la partie requérante envers le tribunal est très élevé. Dans le dossier Moulée RL, le tribunal a exigé la production des documents d’appel d’offres, lesquels révèleront que des actifs de 2 050 000$ appartiennent à Moulée R.L. Ltée qui n’est ni insolvable, ni partie aux procédures, et seulement 550 000$ appartiennent à la débitrice Moulée R.L. Inc. Manifestement, ces faits ne rendent pas opportune la nomination d’un séquestre aux actifs des deux compagnies.

Dans plusieurs districts, il faudra donc avoir des motifs solides et détaillés pour obtenir la nomination d’un séquestre.