Loi 108 favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics : quel impact pour les organismes publics et municipaux ?
Veuillez noter que contrairement à ce qui était indiqué dans le présent billet au moment de sa publication le 19 janvier dernier, les différentes mesures introduites par la loi 108 entreront en vigueur dans un certain délai suivant l’entrée en fonction du président-directeur général et non pas sa nomination.
Le 1er décembre dernier, le gouvernement du Québec a annoncé l’adoption de la Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics (« Loi 108 »). L’adoption de cette loi fait suite à une promesse électorale du gouvernement, mais surtout à une recommandation phare du rapport final de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction (« CEIC »).
Le présent billet vise à décrire certaines des principales mesures introduites par la Loi 108 et à préciser leurs effets sur les règles applicables aux organismes publics et municipaux en matière d’appels d’offres et de gestion contractuelle.
Création de l’Autorité des marchés publics
Le gouvernement du Québec a donné suite à la principale recommandation de la CEIC en créant l’Autorité des marchés publics (« AMP »). L’AMP va jouer un rôle d’encadrement et de soutien auprès des organismes publics et municipaux mais également de suivi et de contrôle, puisqu’elle est responsable de la surveillance des contrats publics. Ce pouvoir de surveillance peut prendre différentes formes. L’AMP peut notamment vérifier, de sa propre initiative, le processus d’adjudication ou d’attribution d’un contrat public. Elle peut aussi faire enquête afin de s’assurer que la gestion contractuelle d’un organisme public ou municipal respecte les règles applicables. Les responsabilités de l’Autorité des marchés financiers en ce qui concerne la délivrance d’autorisations de contracter et la gestion du registre des entreprises non admissibles aux contrats publics (« RENA ») sont également transférées à l’AMP.
Assujettissement des organismes municipaux
D’emblée, il est important de souligner que les organismes municipaux sont visés par la Loi 108 et sont donc assujettis au pouvoir de surveillance de l’AMP. Il s’agit d’un revirement de situation important, la version initiale du projet de loi prévoyant que seuls les organismes publics visés par la Loi sur les contrats des organismes publics (« LCOP ») y seraient assujettis. Cependant, à la suite de consultations et d’auditions publiques sur le projet de loi 108, un amendement a été déposé afin que son application soit étendue aux organismes municipaux. Par cette expression, le législateur vise autant les municipalités que les sociétés de transport en commun.
Plainte à un organisme public ou municipal
La Loi 108 introduit un mécanisme détaillé permettant à toute personne intéressée à participer au processus d’adjudication d’un contrat de formuler une plainte si elle s’estime désavantagée par ce processus. Le législateur prévoit plusieurs cas dans lesquels une personne peut déposer une plainte auprès d’un organisme public ou municipal, notamment lorsque les documents d’appel d’offres contiennent des conditions qui n’assurent pas un traitement équitable des concurrents ou qui ne permettent pas à certains d’entre eux de participer à l’appel d’offres, bien qu’ils puissent être qualifiés. Il est cependant prévu que seuls les contrats faisant l’objet d’un appel d’offres public peuvent être visés par une plainte, ce qui exclut donc les contrats de gré à gré ou ceux faisant l’objet d’un appel d’offres sur invitation.
Afin de traiter les plaintes qui leur seront adressées, les organismes publics et municipaux doivent adopter une procédure d’examen des plaintes et la publier sur leur site internet.
Plainte à l’AMP
La Loi 108 prévoit que, dans l’éventualité où une personne dépose une plainte à un organisme public ou municipal et n’est pas satisfaite de la réponse qui lui est transmise, elle peut s’adresser à l’AMP. Par contre, le dépôt d’une plainte auprès de l’AMP est autorisé seulement si la personne a déjà déposé sans succès une plainte auprès de l’organisme public ou municipal et n’a pas, parallèlement à sa plainte auprès de l’AMP, introduit un recours judiciaire pour les mêmes motifs.
Dès la réception d’une plainte, l’AMP doit communiquer avec l’organisme public ou municipal pour l’en informer et obtenir ses observations. L’AMP doit par la suite rendre sa décision dans un délai de dix jours. La nature de la décision rendue par l’AMP n’est cependant pas la même lorsque la plainte vise un organisme municipal ou un organisme public assujetti à la LCOP. La Loi 108 prévoit en effet que la décision de l’AMP n’a aucun caractère contraignant pour un organisme municipal. Il s’agit uniquement d’une recommandation, de sorte que la décision finale concernant le processus d’adjudication du contrat revient à l’organisme municipal. Par contre, si une plainte est déposée auprès d’un organisme public et que l’AMP, après vérification, conclut que cette plainte est fondée, elle peut rendre plusieurs ordonnances à l’égard de l’organisme public. Elle peut notamment exiger la modification des documents d’appel d’offres à sa satisfaction ou l’annulation complète de l’appel d’offres. On peut toutefois penser que, bien qu’un organisme municipal ne soit pas obligé de donner suite à une recommandation de l’AMP, ses dirigeants s’exposeront à des critiques s’ils décident de l’ignorer.
Autorisation de contracter
Les seuils et les catégories des contrats publics visés par l’obligation d’obtenir une autorisation de contracter sont présentement prévus dans divers décrets adoptés par le gouvernement. La Loi 108 innove, car elle permet au gouvernement d’exiger la présentation d’une autorisation de contracter pour un contrat qui n’est pas visé par un décret, par exemple, un contrat d’approvisionnement. Le gouvernement va donc bénéficier d’un pouvoir discrétionnaire lui permettant d’identifier, à l’occasion, des contrats publics pour lesquels une autorisation de contracter est requise, bien qu’ils ne soient pas visés par les décrets en vigueur.
Avis d’intention
La Loi 108 introduit également un mécanisme obligeant les organismes publics et municipaux à publier au système électronique d’appel d’offres (« SEAO ») un avis d’intention avant de conclure certains contrats de gré à gré. L’avis d’intention doit comporter tous les détails du contrat envisagé. Il est cependant surprenant de constater que les contrats de gré à gré visés par cette obligation ne sont pas les mêmes pour les organismes municipaux et les organismes publics. Un organisme municipal doit en effet publier un avis d’intention au SEAO lorsqu’il souhaite contracter avec une entreprise qu’il a identifiée comme étant un fournisseur unique. Cette obligation ne s’applique pas aux organismes publics, qui doivent plutôt publier au SEAO un avis d’intention lorsqu’ils souhaitent conclure un contrat de gré à gré au motif qu’un appel d’offres public ne servirait pas l’intérêt public.
L’objectif de la publication de l’avis d’intention est cependant le même pour les organismes publics et municipaux, soit de permettre à toute personne ayant pris connaissance de cet avis d’intention de manifester son intérêt à réaliser le contrat. L’organisme public ou municipal peut maintenir sa décision de contracter avec l’entreprise identifiée, mais doit transmettre sa décision aux personnes ayant manifesté leur intérêt.
Dans l’éventualité où une personne ayant manifesté son intérêt est insatisfaite de la réponse de l’organisme public ou municipal, elle peut porter plainte auprès de l’AMP. Encore une fois, le législateur a prévu des règles différentes pour les organismes publics et les organismes municipaux. Si la plainte vise un organisme public et que l’AMP juge que le plaignant peut effectivement réaliser le contrat, elle peut obliger l’organisme public à procéder à un appel d’offres public. Cependant, dans le cas d’un organisme municipal, l’AMP peut uniquement émettre une recommandation dans ce sens.
Entrée en vigueur
Le gouvernement a prévu que l’entrée en vigueur de la Loi 108 sera progressive. Bien que la Loi 108 ait confirmé la création immédiate de l’AMP, cette dernière ne va pas assumer dès maintenant toutes ses responsabilités. Le gouvernement doit d’abord nommer un premier président-directeur général à l’AMP. Il est prévu que les responsabilités de l’Autorité des marchés financiers en lien avec la délivrance d’autorisations de contracter et la gestion du RENA seront transférées à l’AMP six mois après l’entrée en fonction du président-directeur général. Les dispositions de la Loi 108 concernant le régime des plaintes et l’avis d’intention entreront plutôt en vigueur dans un délai de dix mois suivant cette entrée en fonction.