Force majeure ou mauvaise évaluation de ses risques ?
Citant « un cas de force majeure », un prestataire de services demande de renégocier le contrat que lui a adjugé votre organisme. Il affirme qu’en raison de plusieurs changements importants dans le marché, il n’est pas en mesure de maintenir le prix forfaitaire indiqué à sa soumission.
S’agit-il réellement d’un cas de force majeure ou le prestataire de services a-t-il plutôt mal évalué ses risques économiques ?
La Cour supérieure a abordé cette question dans un jugement récent.
Dans cette affaire, il était question d’un contrat de services ayant pour objet la collecte de matières recyclables et leur transport vers un lieu de valorisation (dans un billet précédent, nous avons décrit les changements observés dans le marché des matières recyclables). Le prestataire de services à qui avait été adjugé ce contrat affirmait que les changements dans ce marché constituaient un cas de force majeure et demandait donc un ajustement du prix du contrat, d’où le litige avec l’organisme municipal.
Ses arguments n’ont cependant pas été retenus par la Cour supérieure.
D’abord, la Cour a souligné que la soumission déposée par le prestataire de services était largement inférieure à celle de ses concurrents. Pour citer la Cour, il s’agit « d’une décision d’affaires » : le prestataire de services a accepté « de prendre davantage de risques, et ce, dans le but d’obtenir le contrat ».
La Cour a ensuite mentionné que le prestataire de services était responsable de la collecte des matières recyclables, mais qu’il avait une entente avec un tiers pour leur valorisation. À ce sujet, elle a jugé que le prestataire de services n’avait pas agi « en tant que contractant raisonnablement prudent et diligent » en omettant de prévoir qu’une potentielle hausse de prix dans son entente avec le tiers pouvait augmenter les coûts de réalisation de son propre contrat. En réclamant un ajustement du prix du contrat, il avait donc voulu faire assumer par l’organisme municipal les risques qu’il avait omis de prendre en compte lui-même.
La Cour a donc conclu que le prestataire de services avait pris des décisions qui « relèvent de choix stratégiques et économiques qui lui sont propres et qui, de toute façon, ne suivaient pas les tendances du marché ». Par conséquent, il ne s’agissait pas d’un cas de force majeure en raison de l’absence d’imprévisibilité, qui, rappelons-le, est une condition essentielle pour conclure à une force majeure.
Le raisonnement de la Cour supérieure dans ce jugement est particulièrement pertinent dans le contexte actuel de l’épidémie de coronavirus (COVID-19). En effet, l’épidémie doit certainement être considérée comme un cas de force majeure pour plusieurs contrats qui avaient été conclus avant le début de l’épidémie (voir un billet précédent). Cependant, elle ne pourra pas être invoquée pour les contrats qui ont été adjugés ou attribués récemment, puisque la situation est maintenant connue de tous depuis plusieurs semaines : il y a donc absence d’imprévisibilité puisque le cocontractant s’est engagé en toute connaissance de cause.