Évaluation de rendement insatisfaisant : Méfiez-vous de l’abus de droit!

Les lois municipales[1] prévoient qu’un organisme municipal peut refuser la soumission d’une entreprise qui a fait l’objet d’une évaluation de rendement insatisfaisant, et ce pour une période de deux ans. La conséquence de l’émission d’un rapport de rendement insatisfaisant est bien évidemment l’inadmissibilité à soumissionner dans le cadre d’un processus d’octroi de contrat public. 

Certains organismes municipaux ont recours à un tel outil d’évaluation de la performance des fournisseurs. Ils doivent cependant s’assurer de respecter la loi et les bonnes pratiques en la matière. À défaut, un tribunal pourrait qualifier la déclaration d’inadmissibilité d’abus de droit et de faute contractuelle. 

Bref rappel de la procédure prévue à la Loi [2]L’évaluation de rendement insatisfaisant ne peut être utilisée par l’organisme municipal que si elle remplit les conditions suivantes:  

  • 1° elle est liée à l’exécution d’un contrat attribué par la municipalité ou par l’organisme responsable de l’exécution d’une entente à laquelle est partie la municipalité et qui a été conclue en vertu de l’article 29.5, 29.9.1 ou 29.10;
  • 2° elle a été réalisée par la personne désignée à cette fin par le conseil de la municipalité ou par l’organisme; 
  • 3° elle est consignée dans un rapport dont copie a été transmise à l’entrepreneur ou au fournisseur, et ce, au plus tard le 60ème jour suivant celui de la fin du contrat qui en fait l’objet;
  • 4° un délai d’au moins 30 jours de la réception de la copie du rapport visée au paragraphe 3° a été accordé à l’entrepreneur ou au fournisseur afin qu’il puisse transmettre, par écrit, tout commentaire sur ce rapport à la municipalité ou à l’organisme;
  • 5° après examen des commentaires transmis le cas échéant, elle est devenue définitive en étant, au plus tard le 60ème jour suivant la réception de ces commentaires ou, en l’absence de commentaires, suivant celui de l’expiration du délai prévu au paragraphe 4°, approuvée par le conseil de la municipalité ou par l’organisme.
  • 6° Une copie certifiée conforme de l’évaluation approuvée est transmise à l’entrepreneur ou au fournisseur. 

 Bonnes pratiques : Rappelons que le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH) a d’ailleurs publié en juin 2013 un guide à l’intention des organismes municipaux pour procéder à l’évaluation des contractants. Celui-ci est encore d’actualité.

Le processus doit être transparent dès le départ et tout au long de l’exécution des travaux permettant aux deux parties d’établir les exigences, attentes et explications face aux obligations à réaliser.

L’organisme municipal se doit notamment d’assurer un suivi écrit rigoureux de l’exécution de ses contrats (date, lieux, observations, correctifs requis et sanctions). Il doit se comporter en personne raisonnable et informer par écrit l’entrepreneur des défauts constatés, et ce de façon continue, tout au long de l’exécution du contrat. 

Il devrait mentionner clairement la possibilité de l’évaluation de rendement insatisfaisant et préciser en quoi consiste la procédure d’évaluation. 

Il devrait également procéder à la gradation des sanctions, telle que l’imposition de pénalités et l’éventuelle émission d’un rapport de rendement négatif.

Décision Neptune : Dans la récente décision Neptune, la Ville de Québec (« la Ville ») avait, par résolution, écarté Neptune de tout appel d’offres public pour une période de deux ans, en plus de résilier quatre contrats publics la liant à cet entrepreneur. (voir billet précédent)

 La Cour supérieure a conclu que la déclaration d’inadmissibilité à soumissionner pour deux ans a été imposée sans droit, de mauvaise foi et de façon déraisonnable. En ce qui concerne l’évaluation de rendement, elle reproche à la Ville, les éléments suivants :

  • aucune procédure d’évaluation n’a été mise en place et exposée à l’entrepreneur;
  • aucun système permettant d’apprécier les reproches à l’aide de critères objectifs et intimement liés aux obligations imposées à l’entrepreneur n’a été soumis par la Ville;
  • la copie du rapport d’évaluation de rendement a été transmise à l’entrepreneur après la réalisation des travaux;
  • aucune gradation des sanctions n’a été imposée pendant l’exécution du contrat, bien que ces sanctions soient prévues au contrat. 

La Cour mentionne l’affaire Aecom dans laquelle la Cour d’appel a précisé « que l’insatisfaction du client doit être dénoncée à plusieurs reprises donnant ainsi à l’entrepreneur l’opportunité de remédier à ses défauts. » La Cour rappelle que les bonnes pratiques permettent entre autres à l’entrepreneur de se corriger et d’éviter que l’évaluation de rendement devienne aléatoire.

« L’entrepreneur, se voyant signaler un reproche et préciser la gravité qui s’y rattache, sera en mesure d’apporter des corrections, de justifier sa position ou de réaliser et assumer les conséquences éventuelles de tels reproches. L’évaluation des reproches devant être, dans la mesure du possible, faite par le ou les mêmes représentants du client. À défaut, l’évaluation de rendement peut devenir aléatoire et laisser à l’interprétation ou l’appréciation suivant les intervenants agissant pour le client pour un même contrat. »

Notons que l’affaire Aecom visait la Société immobilière du Québec, un organisme public régi par la Loi sur les contrats des organismes publics (LCOP). Nous souhaitons souligner que les règles en matière municipale relatives à l’évaluation de rendement insatisfaisant s’appliquent également aux organismes publics régis par la LCOP.

En conclusion, l’exercice par l’organisme municipal du droit à l’inadmissibilité de l’entrepreneur de soumissionner pour une période de deux ans doit être réalisé avec rigueur. Il doit reposer sur un défaut substantiel constaté et non corrigé par l’entrepreneur.


[1] Art. 573 al. 2.0.1. Loi sur les cités et villes ; art. 935 al. 2.0.1 Code municipal du Québec

[2] Idem