Appels d’offres et modalités de paiement : le non-paiement d’intérêts sur les factures, un exemple de clause abusive !

Il est bon de rappeler que les contrats issus d’un appel d’offres sont des contrats d’adhésion au sens du Code civil du Québec (C.c.Q). En effet, le contractant n’a aucune discrétion pour négocier les clauses d’un tel contrat : s’il désire réaliser le contrat, il doit y adhérer.

Tant les organismes publics régis par la Loi sur les contrats des organismes publics (LCOP) que les organismes municipaux doivent donc être prudents dans la rédaction de leurs clauses contractuelles prévues aux documents d’appels d’offres; ces dernières peuvent être requalifiées de « clauses abusives » selon l’article 1437 C.c.Q.

La Ville de Québec (ci-après « la Ville ») l’a appris à ses dépens dans le jugement Neptune de la Cour supérieure du 20 mai dernier (à ce sujet, par rapport à cette même décision, voir notre billet précédent concernant la résiliation d’un contrat et notre billet précédent concernant l’évaluation de rendement insatisfaisant).

Dans cette affaire, quatre contrats issus d’appels d’offres publics liaient la Ville avec Neptune, un prestataire de services spécialisé en gardiennage et sécurité. Chacun de ces contrats publics contenait les mêmes dispositions à l’effet que la Ville n’était aucunement redevable du paiement des intérêts sur toute somme due envers Neptune.

Une des clauses du Devis mentionnait notamment ce qui suit, en ce qui concerne la facturation et les modalités de paiement:

« (…) aucun intérêt n’est payé sur les transactions résultant de ce contrat. »

Le tribunal a jugé que cette disposition contractuelle est excessive et déraisonnable, car elle laisse le créancier sans compensation pendant toute la période où il tente de récupérer son dû. Dans cette affaire, le contractant Neptune a donc obtenu gain de cause sur la base de la clause abusive définie à l’article 1437 C.c.Q.:

1437 : « La clause abusive d’un contrat de consommation ou d’adhésion est nulle ou l’obligation qui en découle, réductible.

Est abusive toute clause qui désavantage le consommateur ou l’adhérent d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre de ce qu’exige la bonne foi; est abusive, notamment, la clause si éloignée des obligations essentielles qui découlent des règles gouvernant habituellement le contrat qu’elle dénature celui-ci. »

En conséquence, la Cour a ordonné que les intérêts soient calculés suivant les dispositions du C.c.Q. et en conformité avec la jurisprudence.

Les articles 1617 et 1619 C.c.Q. prévoient le taux d’intérêt et la date du début du calcul comme suit :

1617 : « Les dommages-intérêts résultant du retard dans l’exécution d’une obligation de payer une somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux convenu ou, à défaut de toute convention, au taux légal.

Le créancier y a droit à compter de la demeure sans être tenu de prouver qu’il a subi un préjudice.

Le créancier peut, cependant, stipuler qu’il aura droit à des dommages-intérêts additionnels, à condition de les justifier. »

1619 : « Il peut être ajouté aux dommages-intérêts accordés à quelque titre que ce soit, une indemnité fixée en appliquant à leur montant, à compter de l’une ou l’autre des dates servant à calculer les intérêts qu’ils portent, un pourcentage égal à l’excédent du taux d’intérêt fixé pour les créances de l’État en application de l’article 28 de la Loi sur l’administration fiscale (chapitre A-6.002) sur le taux d’intérêt convenu entre les parties ou, à défaut, sur le taux légal. »

Il est intéressant de mentionner que, contrairement au monde municipal, certains organismes publics régis par la LCOP sont assujettis à un règlement spécifique sur le paiement des intérêts intitulé Règlement sur le paiement d’intérêts aux fournisseurs du gouvernement[1] (« le Règlement »). Ce dernier est réputé pris en vertu de l’article 23 de la LCOP et s’applique à tout ministère ou organisme dont le budget est voté par l’Assemblée Nationale[2].

Ainsi, les organismes publics visés par ce Règlement doivent préciser dans leurs contrats (issus d’appels d’offres ou de gré à gré) qu’ils sont assujettis à celui-ci. Par conséquent, ces derniers doivent payer dans un délai maximal de 30 jours de la réception d’une facture[3]. À défaut, un fournisseur peut sur demande réclamer le paiement des intérêts de retard, lequel se calcule à compter du premier jour de retard, au taux en vigueur en vertu de l’article 28 de la Loi sur l’administration fiscale[4].

Enfin, en vertu de l’article 5 du Règlement, les retenues de paiement prévues aux termes de certains contrats ne sont pas des paiements en retard tant que l’acceptation et la vérification finales n’ont pas été effectuées et qu’il ne s’est pas écoulé plus de 30 jours depuis cette date.

En guise de conclusion, nous souhaitons rappeler qu’une bonne pratique à adopter est de proscrire toute clause juridique au sein du devis technique. Les clauses de paiement du prix devraient donc figurer uniquement au contrat, tout en respectant le C.c.Q. en matière de clause abusive.


[1] Règlement sur le paiement d’intérêts aux fournisseurs du gouvernement (RLRQ; c. C-65.1, r.8)

[2] Voir art. 1et 2 du Règlement précité.

[3] Voir art. 4 al.2 du Règlement précité.

[4] Voir art.4 al.3 du Règlement précité.