Soumissions électroniques : à quand la fin de l’exclusivité pour les organismes publics ?
Les organismes publics et les organismes municipaux[1] se côtoient au sein du « Système électronique d’appel d’offres » (ci-après le « SEAO ») depuis plusieurs années. Mais voilà qu’il y a environ cinq ans, les organismes publics se sont vu octroyer des privilèges qui, jusqu’à ce jour, demeurent source de convoitise pour leurs vis-à-vis municipaux…
Ce privilège exclusif aux organismes publics consiste en l’option de permettre le dépôt de « soumissions électroniques » dans le cadre d’un appel d’offres lancé sur SEAO.
La disparité qui en résulte lorsqu’on compare les deux types d’organismes est pour le moins surprenante dans le contexte récent de pandémie et des divers remaniements qui ont eu cours en matière d’appels d’offres.
En effet, comment expliquer que le recours aux soumissions électroniques soit toujours impossible pour les organismes municipaux, alors que :
- les autorités de la santé publique recommandent toujours la distanciation physique;
- la réception physique des soumissions est compromise par la fermeture de plusieurs établissements municipaux; et
- les lois municipales permettent déjà le recours aux soumissions électroniques?
La réponse à cette question est loin d’être simple et nous vous proposons une réflexion en deux points sur le sujet.
1) Les organismes publics et organismes municipaux sont régis par des lois différentes qui encadrent de façon inégale les soumissions électroniques
Cette réalité est selon nous le principal facteur expliquant la disparité.
De leur côté, la Loi sur les contrats des organismes publics et ses règlements d’application (ci-après la « L.C.O.P. »), applicables aux organismes publics, ont été amendés dès 2016 pour intégrer un certain nombre de dispositions traitant des soumissions électroniques. Cet encadrement législatif s’est avéré suffisant pour une mise en œuvre efficace de tout le mécanisme afférent aux soumissions électroniques (changements à la structure du site-web hébergeant le SEAO, adaptations des documents d’appels d’offres utilisés dans l’industrie, etc.).
Du côté municipal, en 2018, les lois municipales ont été amendées de façon à permettre le recours aux soumissions électroniques. Cependant, il s’avère que plusieurs dispositions essentielles à la mise en œuvre du processus sont manquantes. Notamment, il n’y a aucune référence au concept d’intégrité des soumissions électroniques et, par le fait même, à la procédure applicable lorsqu’il n’est pas possible de constater l’intégrité d’une soumission lors de l’ouverture des soumissions[2].
Force est de constater que le législateur devra minimalement apporter l’amendement susmentionné aux lois municipales avant que le SEAO ne puisse intégrer la fonctionnalité pour les organismes municipaux et que ces derniers ne puissent s’en servir.
2) Nuances à apporter au processus de mise en œuvre en fonction de la nature « technologique » des soumissions électroniques
La mise en œuvre du processus permettant les soumissions électroniques soulève un certain nombre d’interrogations, surtout liées à la nature technologique des documents composant la soumission. Encore aujourd’hui, ces questions demeurent sans réponse, du moins d’un point de vue législatif.
Un premier défi technologique lié à la mise en œuvre du processus de soumissions électroniques repose sur la nécessité d’assujettir et adapter le processus en fonction des règles applicables aux différents modes d’adjudication. En effet, de façon générale, pour un appel d’offres dont l’évaluation des soumissions se fait en fonction d’un mode d’adjudication qui exige d’évaluer à la fois la qualité et le prix des soumissions, il peut être exigé que les soumissions soient composées de deux documents distincts, soit l’offre financière et l’offre qualitative, cela afin que les deux documents puissent faire l’objet d’une évaluation séparée.
Traditionnellement, lorsque la soumission est sur support papier, cela se fait aisément par l’insertion des documents respectifs dans deux enveloppes cachetées distinctes. Or, la question se pose à savoir comment transposer cette méthode des deux enveloppes dans le contexte de la soumission électronique.
La L.C.O.P. et ses règlements sont muets sur la question et, d’ailleurs, jusqu’à ce jour, c’est seulement à l’égard des appels d’offres « à une enveloppe » que les organismes publics peuvent décider d’accepter les soumissions électroniques[3]. Sur cette question précise, les lois municipales apportent néanmoins un certain éclairage par l’entremise d’un amendement apporté au mode d’adjudication municipal « à deux enveloppes ». En fait, ces lois prévoient simplement que « la soumission doit être transmise en deux envois distincts ».
Un autre défi technologique en lien avec la mise en œuvre du processus permettant les soumissions électroniques consiste en l’impossibilité d’exiger certains types de garantie de soumission. En effet, puisqu’il est impossible de joindre un effet de commerce, tel un chèque visé ou un mandat-poste, à une soumission électronique (une copie de l’original n’ayant pas de valeur en soi), seul le cautionnement paraît acceptable.
Voilà autant de facteurs à considérer avant que les organismes municipaux ne puissent avoir recours aux soumissions électroniques. Heureusement, à cette fin, il y a plusieurs intervenants qui pourront mettre la main à la pâte! Nous avons le législateur qui décidera en avant-plan de la façon que les lois encadreront le recours aux soumissions électroniques. Nous avons aussi les donneurs d’ordre et leur entourage qui viendront par la suite interpréter les lois et répondre aux questions qui demeureront en suspens.
Il sera intéressant de voir la répartition de tâches qui s’opérera entre ces divers intervenants. Le législateur prendra-t-il sur lui d’encadrer davantage de notions qu’il n’a fait pour les organismes publics? Quoi qu’il en soit, selon certains médias, les organismes municipaux devraient pouvoir permettre les soumissions électroniques au début de l’année 2021[4]. Un dossier à suivre!
[1] On entend ici par « organismes municipaux », les municipalités, municipalités régionales de comté, communautés métropolitaines et sociétés de transport en commun.
[2] Dans un tel cas, les règlements d’application de la L.C.O.P. prévoient qu’un soumissionnaire dispose d’un délai de deux jours pour corriger l’irrégularité et que les prix des soumissions ne peuvent être dévoilés durant ce délai.
[3] Présentement, sur le SEAO, les organismes publics peuvent seulement permettre les soumissions électroniques pour les appels d’offres ayant recours aux modes d’adjudication « Prix le plus bas » et « Note finale la plus élevée ».
[4] Voir par exemple l’article paru le 13 juillet 2020 dans « Le Journal de Québec », accessible au : https://www.journaldequebec.com/2020/07/13/pas-de-soumissions-en-ligne-pour-les-municipalites